Si un médecin avait pu suivre Research In Motion sur un électrocardiogramme ces derniers mois, il aurait diagnostiqué cette arythmie qui est propre aux vedettes déchues de la techno. Avec chaque nouvelle rumeur d'un rachat ou d'une alliance technologique, et il y en a eu plusieurs ces derniers mois - Samsung, Amazon, Nokia, Microsoft, Facebook, alouette! -, son coeur se met à battre à tout rompre en Bourse.

On se serait attendu à ce que la grande opération pratiquée dimanche par le conseil d'administration de RIM stabilise l'entreprise de Waterloo. Mais cette intervention tant attendue est tombée à plat comme la ligne d'un patient dont les battements de coeur sont imperceptibles.

Les marchés boursiers attendaient une décharge, une défibrillation. Ils ont eu droit à une transition tout à fait ordonnée, un changement de l'intérieur.

Les investisseurs militants sont souvent de mauvais conseillers pour les entreprises, parce qu'ils recherchent une plus-value rapide et qu'ils se fichent des lendemains. Mais, entre la précipitation qui aurait pu mener au dépècement de RIM et cette forme apparente de déni, il y a tout un monde.

Car, à écouter le nouveau président et chef de la direction de Research In Motion, l'inventeur du BlackBerry n'a connu, et ce sont ses mots, que «quelques cahots sur la route» de sa croissance rapide. Même si l'année est encore jeune, c'est d'ores et déjà le sous-entendu de 2012!

Thorsten qui? Thorsten Heins, dirigeant de RIM qui, depuis plus de quatre ans, se trouvait dans l'ombre de Jim Balsillie et de Mike Lazaridis, même s'il mesure 6 pieds 6 pouces. Né à Munich, cet ingénieur de 54 ans a passé l'essentiel de sa vie professionnelle chez le géant industriel Siemens. Au cours de ces 23 années, il a touché à plusieurs des facettes de l'entreprise (R-D, ventes, service à la clientèle) avant de devenir chef de la technologie.

Lunettes fines, costume propret, voix douce teintée d'un fort accent allemand, Thorsten Heins offre un contraste saisissant avec le flamboyant Jim Balsillie, un fana de hockey qui aime fréquenter les groupes rock.

Mais Thorsten Heins ne représente pas une grande rupture avec le passé, si l'on se fie à ses premières interventions publiques. De plus, les deux anciens chefs de la direction de RIM conservent leur poste d'administrateur. Mike Lazaridis hérite même de la vice-présidence d'un conseil dorénavant présidé par l'administratrice indépendante Barbara Stymiest.

«Je veux construire sur nos forces d'entreprise intégrée. Ce n'est pas moi qui vais scinder l'entreprise», a dit le nouveau grand patron en téléconférence.

Thorsten Heins entend poursuivre la stratégie de RIM, bien qu'il souhaite qu'elle soit mieux déployée. Il compte embaucher dès que possible un nouveau chef du marketing, un poste vacant depuis mars dernier, dans l'espoir de reconquérir le lucratif marché des États-Unis. Et il compte resserrer le développement de produits, trop brouillon pour son esprit cartésien, afin que RIM respecte ses échéanciers et ses coûts.

On le sait, le lancement de la nouvelle génération de téléphones intelligents BlackBerry 10, que RIM a repoussé à l'automne prochain, pourrait causer des dommages irrémédiables à l'entreprise. Les téléphones et tablettes BlackBerry n'impressionnent pas en Amérique du Nord, où les gens d'affaires et les consommateurs sont séduits par les iPhone et les téléphones qui s'appuient sur le système d'exploitation Android de Google, comme les Galaxy de Samsung.

Ce sont des gestes essentiels pour que RIM restaure sa crédibilité auprès de ses clients, de ses partenaires développeurs et de ses actionnaires. Cependant, quand Thorsten Heins s'intéresse aux procédés, plutôt qu'à la vision d'ensemble de RIM, il ne semble pas animé par un sentiment d'urgence. Tout au plus évoque-t-il la possibilité - incertaine - de permettre à des fabricants d'appareils d'utiliser le nouveau système d'exploitation de RIM au moyen de licences. Et encore cette décision se prendra au cas par cas.

De deux choses l'une. Ou bien il est aussi optimiste (et inconscient) qu'il l'affirme. Et advienne que pourra de RIM, ce fleuron canadien qui paraît voué à être mis en vente, en tout ou en partie.

Ou bien Thorsten Heins attend avant de dévoiler des mesures plus dramatiques pour renverser le recul des ventes et la baisse des parts de marché. Avec la caution de Prem Watsa, le grand patron de Fairfax Financial qui fait une entrée remarquée au conseil de RIM. Ce faisant, il offre une porte de sortie élégante à Mike Lazaridis et à Jim Balsillie, ce tandem inhabituel qui a mis trop de temps avant de passer le témoin à un nouveau chef de la direction.

Quoi qu'il en soit, il n'y a qu'une certitude au début de cette année fatidique pour RIM. Pour le meilleur ou pour le pire, Thorsten Heins est le PDG de la dernière chance.

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