Au cours des dernières décennies, l'innovation est devenue la réponse privilégiée aux principaux défis et enjeux de compétitivité auxquels sont confrontées les entreprises et les économies de la planète. Dirigeants, décideurs, gestionnaires, représentants gouvernementaux, économistes, universitaires et divers intervenants s'accordent pour signaler la nécessité d'innover pour rester en affaires et être compétitif.

Or, le slogan «innover ou mourir» évoque à la fois une menace et une promesse. À la manière de Sisyphe, personnage de la mythologie grecque condamné à rouler sans arrêt un rocher jusqu'au sommet d'une montagne, les entreprises qui réussissent leurs innovations n'ont pas la garantie d'un succès permanent. Ainsi, les entreprises innovatrices choisissent consciemment un perpétuel recommencement et s'auto-condamnent à rouler sans arrêt le rocher de l'innovation. Ce faisant, ces entreprises apprennent et développent des compétences uniques, spécifiques et difficilement imitables, car en arrivant au sommet de la montagne de l'innovation, elles vont nécessairement en redescendre renforcées.

Innover par combinaison

Les entreprises innovatrices ont bien compris que l'innovation n'est plus confinée à l'aspect technologique. Soutenues par des technologies toujours plus performantes, ces entreprises innovent aussi bien sur les plans organisationnels que sur le plan de leurs modèles d'affaires. Les entreprises progressistes abordent l'innovation dans sa globalité, combinent des innovations sur plusieurs plans et créent des synergies à même des portefeuilles de projets d'innovation.

Ces portefeuilles comprennent une large gamme d'innovations, combinant, entre autres, de nouveaux produits et procédés de production de biens et services, d'innovations de processus d'affaires, d'innovation des structures organisationnelles, et des modèles d'affaires.

Le risque de l'innovation s'étale alors aussi bien sur l'organisation et l'environnement que sur les questions technologiques, financières et commerciales. Par ricochet, les activités d'innovation comportent aujourd'hui des hauts et des bas sur une diversité de dimensions principalement relationnelles, structurelles et managériales.

Une affaire d'équipe et de réseau

L'innovation est plus que jamais une affaire d'équipe et de réseau. L'innovation ouverte et l'innovation collaborative en constituent des exemples probants. Les entreprises innovatrices exécutent et combinent des activités d'innovation tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de leurs organisations. Les limites organisationnelles s'effacent de plus en plus. Les clients constituent de loin la principale source d'idées des entreprises innovantes, suivis des fournisseurs, des concurrents et des associations industrielles.

Jadis des moteurs d'innovation, les instituts de recherche et les universités ne contribuent aujourd'hui qu'à hauteur de 10% environ aux premières innovations des entreprises. En contrepartie, ces institutions assument d'autres rôles et soutiennent notamment des activités structurantes et d'incubation de nouvelles entreprises, principalement de haute technologie.

Dans ce contexte, les entreprises innovatrices deviennent le centre de gravité du tissu relationnel de tout système national ou régional d'innovation.

Les réseaux qui se développent sont de plus en plus complexes et les enjeux de l'innovation plus nombreux.

D'une part, aucune entreprise n'est en mesure de maîtriser la chaîne complète de l'innovation.

Sur le plan technologique, les plateformes sont systémiques, dans le sens qu'elles intègrent une panoplie de technologies provenant d'un nombre toujours croissant d'intervenants. Conséquemment, une innovation réussie a des impacts sur un ensemble d'intervenants du réseau de création de valeur.

D'autre part, ces impacts sont exacerbés par la fragmentation des marchés et les besoins toujours changeants des clients. Le cycle de vie des biens et services raccourcit. Ainsi, les changements émergent tant des chaînes d'approvisionnement que du marché, les échanges s'intensifient verticalement et horizontalement et la petite entreprise, faute de ressources, mais flexible, joue sur la même scène que la grande entreprise.

Le métier de l'innovation

Les techniques de gestion de l'innovation prolifèrent : méthode à jalon («Stage-gate process»), ingénierie simultanée, modularité, théorie de résolution des problèmes inventifs (TRIZ), déploiement de la fonction qualité (QFD), design pour six sigma (DFSS), utilisateurs pionniers (Lead Users), gestion de la propriété intellectuelle et de connaissances, et tant d'autres.

Les entreprises innovatrices visent tant l'innovation de rupture, l'innovation radicale, l'innovation ouverte que l'innovation incrémentielle ou l'amélioration continue. La création d'espaces qui encouragent une culture d'innovation ne peut que contribuer à la consolidation de toute innovation, peu importe son envergure. Le grand paradoxe est que pour innover, les entreprises et leurs dirigeants ont compris l'importance de maîtriser la routine de Sisyphe.

Une culture d'innovation se développe essentiellement par la pratique, le partage, les échanges, les défis, les échecs, la curiosité, le désir de faire autrement, le travail en équipe et l'exercice du leadership. Au coeur du métier des innovateurs, l'apprentissage par la pratique et la persévérance de Sisyphe occupent nécessairement une place privilégiée.

Silvia Ponce enseigne la stratégie des opérations et l'innovation à HEC Montréal. Elle y est professeure agrégée et directrice des diplômes d'études supérieures.