Dans le «bon vieux temps», un vendeur tentait de convaincre un client de faire des affaires avec lui; ensuite, ses efforts visaient plutôt à devenir un fournisseur privilégié. Cependant, la situation a bien changé. Les fournisseurs n'étant plus autant en mesure qu'avant d'obtenir tous les intrants nécessaires à la fabrication, il arrive de plus en plus que les clients doivent attendre plus longtemps... à moins qu'ils ne soient préférés à d'autres clients! De plus, les meilleurs fournisseurs ont le choix des clients avec qui faire affaire.

Sur plusieurs marchés, les organisations acheteuses ont perdu du pouvoir entre autres à cause de la demande élevée de la Chine et de l'Inde, de la rareté de certains produits, des oligopoles et des fusions ou acquisitions de fournisseurs. À titre d'exemple, une organisation québécoise renommée et qui a d'excellentes relations avec ses fournisseurs s'est fait dire récemment qu'un fournisseur asiatique important ne ferait plus affaire avec elle.

La raison? D'autres de ses clients lui ont offert d'acheter des quantités supérieures, tout en s'engageant à long terme avec elle.

C'est pourquoi un acheteur doit utiliser des stratégies proactives afin de recevoir un traitement préférentiel et ainsi devenir un client privilégié.

Cependant, devenir un client privilégié signifie s'engager dans un processus complexe, dispendieux et souvent incertain. Il est donc nécessaire de recourir à une stratégie et à des tactiques cohérentes. Nous suggérons d'atteindre cet objectif en quatre étapes.

L'attraction, la première étape, consiste à s'assurer que le fournisseur recherché reconnaisse la valeur que peut lui offrir le client. Puisque la notion de «valeur» est fortement subjective, l'acheteur devra d'abord saisir ce qu'elle signifie pour le fournisseur, puis poser des gestes en conséquence. Après des discussions exploratoires, ce fournisseur intéressant pourrait accepter d'aller de l'avant, étant satisfait de la valeur perçue et de l'interaction positive avec le client. C'est à ce moment qu'intervient la seconde étape, celle de la performance de l'acheteur.

Évidemment, un fournisseur préfère un client qui accepte de payer le plein prix et qui achète de grandes quantités; cependant, d'autres facteurs peuvent alors être mis en évidence, entre autres: partage d'information, équité, relations harmonieuses et accès à de nouveaux marchés.

Mais pour que la troisième étape, celle de l'engagement du fournisseur, puisse avoir lieu, au moins un élément crucial doit motiver ce dernier à le faire. Il s'agit donc pour le client de présenter un potentiel supérieur à celui des autres clients, au niveau de la valeur ajoutée pour le fournisseur et de l'harmonie des relations. Puisque les ressources d'un fournisseur sont évidemment limitées, il ne pourra pas investir à un niveau élevé chez plusieurs clients importants.

Par ailleurs, quand un fournisseur décide d'aller de l'avant, certains investissements pourraient n'être utiles qu'avec un seul client. Ayant déjà investi temps et argent auprès de ce dernier, un fournisseur y pensera par la suite à deux fois avant de réduire son engagement. Les investissements peuvent prendre la forme de liens entre les systèmes d'information, d'adaptations de produits ou de processus pour satisfaire les demandes du client, ou encore du temps consacré à l'intégration de processus. C'est à cette troisième étape que l'on peut dire que le statut de «client privilégié» est accordé.

Le maintien du statut, qui constitue la quatrième étape du processus, peut s'avérer un défi continuel pour une firme acheteuse qui doit faire les efforts appropriés pour qu'un fournisseur continue de percevoir la valeur ajoutée que représente ce client.

Il y a donc des changements importants qui surviennent dans l'équilibre des forces entre acheteurs et fournisseurs. La capacité de devenir un client privilégié auprès de fournisseurs-clés pourrait fort bien s'avérer une stratégie de survie pour plusieurs organisations. C'est pourquoi nous avons présenté une approche pratique en quatre étapes pour le réaliser. Il serait approprié pour les acheteurs d'apprendre cette approche bientôt, surtout avant leurs concurrents. Autrement, ils pourraient bien ne pas être là pour bien longtemps.

Jean Nollet est titulaire de la chaire de gestion des approvisionnements à HEC Montréal. Claudia Rebolledo est professeure agrégée à HEC Montréal et Victoria Popel est étudiante à la M.Sc.