Si le capitalisme reste le meilleur système économique, faute de solution de rechange, il n'en comporte pas moins son lot de défauts, dont l'opacité et les activités clandestines de ses grands acteurs ne sont pas les moindres.

Dans son nouvel essai, Marc Roche nous fait visiter les méandres de l'optimisation fiscale, de l'offshore, de la spéculation sur les marchés de matières premières et du hors bilan.

Il met aussi en lumière les dérives de la déréglementation, de l'impunité et de la connivence politique.

Avec son titre un brin racoleur, Le capitalisme hors la loi aguiche le lecteur curieux.

Ainsi, il en apprendra un peu plus sur les dessous de grandes transactions financières, le fonctionnement des paradis fiscaux qui abritent discrètement de grandes fortunes de dictateurs ou de lucratives activités parabancaires, le trafic d'influence entre politiciens, banques et grandes entreprises pour la vente d'armements à des États voyous, l'ingénierie d'impartition et de sous-traitance qui déresponsabilisent les sociétés pétrolières en cas de désastre écologique, etc.

L'approche de Roche est à assimiler au grand reportage rehaussé d'effets de plume. Il démarre ses chapitres en plantant le décor ou en décrivant le personnage au coeur du sujet qu'il aborde.

Il présente ainsi le paradis fiscal et réglementaire que sont les îles Caïman: «La façade de carte postale de cet ancien repaire de flibustiers et de gueux des mers dissimule une nouvelle race d'aventuriers, eux aussi impropres au repentir, qui se gorgent d'or et de rhum en fuyant patrie et catéchisme. Des financiers offshore.»

Il en va de même lorsqu'il campe les acteurs de premier plan de l'économie de l'ombre: «Ne recherchez pas le nom de Mark Rich dans le prospectus boursier de 1636 pages décrivant dans les moindres détails l'histoire et le fonctionnement complexe de l'entrelacs de sociétés qui constituent Glencore, écrit-il. Le plus grand dealer pétrolier de l'histoire et violeur d'embargos devant l'éternel en fut le père spirituel, mais, à l'instar de ce qui se pratiquait dans l'ex-Union soviétique, son nom n'existe plus.»

Tout le livre est de cette eau. On s'y abreuve avec plaisir, sans toutefois étancher notre soif de compréhension. Roche se perd un peu dans les anecdotes dont il farcit ses chapitres. Ce n'est qu'une centaine de pages plus loin qu'on apprend finalement qui est Rich et comment il a pu être amnistié par Bill Clinton aux derniers jours de sa présidence.

Certains chapitres sont néanmoins mieux ramassés, celui des fonds souverains des États pétroliers en particulier. Il suit de près la filière libyenne à Londres et le rôle du fils du colonel Kadhafi, Saïf al-Islam, diplômé de la London School of Economics et vieille connaissance du prince Andrew.

«Londres est devenue la plaque tournante des investissements libyens en Europe en 2004 quand Tony Blair, alors premier ministre, a tendu la main à Kadhafi», écrit-il.

Roche aborde aussi un aspect mal fouillé du capitalisme de l'ombre: le rôle des firmes comptables, des grandes études d'avocats et des agences de relationnistes dans ce qu'il est convenu de nommer par l'euphémisme élégant d'optimisation fiscale. Autant de gens efficaces et discrets sans qui les grandes magouilles seraient impossibles.

Devant cet arsenal, les outils démocratiques sont désuets. Les analystes ne doivent pas critiquer les clients de la banque qui les emploie tandis que les journalistes font souvent face à des menaces de poursuites qui engagent des coûts de défense souvent faramineux.

Roche se veut néanmoins un peu optimiste et salue les progrès dans la réglementation depuis l'éclatement de la crise financière de 2008 dont il attribue en bonne partie la responsabilité à la face cachée du capitalisme.

Il faudra cependant faire plus, conclut-il. «Si l'on n'y prend garde, ce sous-système quasi autonome cachant des transactions financières aussi invisibles que massives et des affaires pourries peut provoquer un cataclysme comme celui qui vient d'affecter le système économique mondial.»

Marc Roche. Le capitalisme hors la loi. Albin Michel. 2011. 270 pages.