Alors que le succès boursier de Groupon fait rêver à d'énormes gains potentiels, beaucoup de signaux suggèrent aux investisseurs la plus grande prudence.

Après un feuilleton qui aura duré plus d'un an, les actions de Groupon, ce distributeur en ligne de forfaits à escompte créé en 2008, commencent finalement à se négocier ce matin à la Bourse Nasdaq sous le symbole GRPN.

Tous s'attendent à ce que le prix initial de l'émission, entre 18$US et 20$US, soit rapidement éclipsé. Certains disent que le titre va même doubler rapidement. Pas étonnant, car les preneurs fermes, Goldman Sachs, Morgan Stanley et Crédit Suisse, ont cessé de prendre des ordres d'achat mercredi après-midi, une journée plus tôt que prévu, suggérant ainsi que l'émission est sursouscrite.

De plus, l'intérêt des investisseurs pour tout ce qui est associé de près ou de loin à l'internet demeure soutenu. On n'a qu'à se rappeler les actions du réseau social LinkedIn qui ont doublé le jour même de leur arrivée en Bourse plus tôt cette année.

Pourtant, le réputé hebdomadaire financier américain Barron's n'a cessé, au cours des derniers mois, de démontrer que les résultats actuels de Groupon étaient loin de justifier une entrée en Bourse à un tel prix. En effet, l'entreprise a perdu 102 millions US au dernier trimestre sur des revenus de 878 millions US. Comme elle n'a que 225 millions US d'encaisse, il lui faudra générer rapidement des profits, ou encore trouver de nouvelles sources de financement.

Barron's a aussi fait état des pratiques comptables douteuses utilisées par l'entreprise. Les résultats financiers ont dû être corrigés après l'intervention de la SecuritiesandExchange Commission (SEC). Les profits qui avaient été annoncés sont alors devenus des pertes.

L'utilisation de pratiques comptables douteuses est un premier signe de l'état d'esprit des dirigeants de Groupon, explique Richard Guay, professeur au département de finance de l'UQAM et ex-dirigeant de la Caisse de dépôt et placement du Québec. «Lorsqu'elles sont utilisées, ces pratiques indiquent généralement l'intention des dirigeants de gonfler la valorisation de leur entreprise», dit-il.

Contrôle serré de l'offre de titres

Autre signal inquiétant, il n'y a que 5% des actions de l'entreprise qui sont vendues au public. On s'assure ainsi que la demande excédera largement l'offre, ce qui permettra d'obtenir un prix élevé. «Quand on a l'intention de faire mousser le prix d'une émission, c'est exactement ce qu'il faut faire», dit M. Guay.

De plus, les dirigeants de l'entreprise, notamment le président du conseil Eric Lefkofsky, ont déjà encaissé plus de 900 millions US en vendant une partie de leurs actions en janvier dernier à des acheteurs privés qui espèrent aujourd'hui réaliser un gain rapide grâce à l'émission publique. Rarement les gens qui fournissent le capital de risque à l'origine vendent-ils aussi rapidement.

Le succès de l'émission de Groupon est assuré car, dans les faits, l'entreprise vend ses actions à ses propres clients, explique Martin Boyer, professeur de finance à HEC Montréal. «Ces gens qui ont profité des escomptes offerts par Groupon croient au succès de l'entreprise», dit-il. «Peu de ces gens lisent Barron's, mais croient plutôt qu'ils vont faire beaucoup d'argent avec le titre. Ils espèrent acheter le prochain Amazon.com», ajoute-t-il.

L'avenir pourrait être tout autre. «L'idée de Groupon est superbe, mais, comme les barrières à l'entrée sont très basses, la concurrence sera très forte», dit M. Boyer. Il n'y a pas de protection intellectuelle pour leur modèle d'affaires. Google s'est d'ailleurs lancée dans la vente de ses premiers forfaits à escompte pas plus tard qu'hier.

Il est possible que le titre se maintienne durant la première année, car les investisseurs individuels qui payeront le gros prix ce matin sur le marché secondaire ne seront pas enclins à vendre rapidement. De plus, ceux qui croiront avoir raté l'occasion aujourd'hui deviendront d'avides acheteurs dès que le titre corrigera quelque peu.

Le rêve se poursuivra quelque temps, mais le réveil pourrait être brutal dans un an.