Une action, un vote. Le principe paraît simple, mais le processus de vote au cours des assemblées annuelles des sociétés canadiennes est tellement complexe et dysfonctionnel que certaines actions donnent lieu à plusieurs votes et d'autres, à rien du tout.

Les rouages de la démocratie actionnariale sont déréglés. «Il y a des irrégularités importantes dans plus de la moitié des assemblées d'actionnaires», rapporte David Masse, président du conseil de la Société canadienne des secrétaires corporatifs (SCSC) qui a tenu, hier, un sommet spécial pour mettre de l'ordre dans le système de vote par procuration.

Les problèmes découlent en bonne partie de la complexité croissante dans la façon dont les Canadiens détiennent leurs actions. Il peut facilement y avoir cinq intermédiaires entre la société émettrice et l'actionnaire ultime qui a le droit d'exercer son vote. Or, les systèmes utilisés par chaque intermédiaire sont très disparates: certains sont à la fine pointe, d'autres utilisent encore une méthode manuelle.

«Cette plomberie-là est très lourde. C'est un peu comme le réseau d'eau de la Ville de Montréal. À certains endroits, ça fonctionne bien, mais ailleurs, il y a des fuites», illustre M. Masse.

De plus, le système n'est pas transparent, indique le cabinet d'avocats Davies Ward Phillips & Vineberg, dans une étude de plus de 200 pages.

Comme personne ne suit le processus d'un bout à l'autre, il est impossible de s'assurer que les votes exprimés par les véritables actionnaires ont réellement été comptabilisés. Les erreurs ne sont jamais identifiées et encore moins corrigées.

«Il ne faut pas croire que les grands investisseurs institutionnels sont immunisés. Souvent, leurs votes ne sont pas calculés», dit M. Masse.

Au Groupe CGI, par exemple, un important actionnaire avait manifesté son abstention pour l'élection d'un administrateur. «À l'autre bout du tunnel, les votes étaient tout simplement disparus», déplore M. Masse qui est secrétaire corporatif adjoint de la firme montréalaise de technologie. L'administrateur aurait été réélu, avec ou sans les votes. Néanmoins, l'institution financière a été très déçue de ne pas avoir pu mettre son bémol, dit M. Masse.

Mais lorsque les résultats sont très serrés, les actionnaires sont en droit de s'interroger sur la validité du vote, étant donné l'ampleur des déficiences du système.

Tandis que certains votes se perdent, d'autres se multiplient. Beaucoup de gestionnaires acceptent de prêter les actions qu'ils détiennent pour des raisons strictement économiques. Le droit de vote passe alors aux mains de l'emprunteur. Si le gestionnaire désire exprimer son vote, il doit rappeler ses titres. «Mais les délais vont parfois jusqu'à 10 jours. Le processus fait en sorte que bien des institutions financières n'arrivent pas à voter sur les titres qu'elles ont prêtés», dit M. Masse.

Par ailleurs, les intermédiaires qui doivent produire la liste des actionnaires aptes à voter ne font pas toujours les ajustements pour tenir compte des prêts de titres. Comme une action peut être empruntée et prêtée plusieurs fois, cela crée un effet multiplicateur. Il arrive que trois ou quatre actionnaires exercent un droit de vote pour une seule et même action.

«Le survotage est un problème de grande ampleur dans le marché canadien. Mais il est masqué parce que les actionnaires de détail votent de moins en moins», explique M. Masse.

Une piste de solution: l'actionnaire pourrait prêter ses titres, tout en conservant ses droits de vote. L'action se négocierait ensuite sans droit de vote.

La SCSC prône aussi un arrimage des systèmes informatiques de tous les intervenants, de manière à ce que chaque actionnaire, petit ou gros, puisse utiliser le même tableau de bord pour exercer ses droits de vote.

De plus, la SCSC presse Industrie Canada de modifier les lois sur les sociétés par actions afin qu'un émetteur ait le droit de connaître ses actionnaires véritables. Présentement, tous ceux qui détiennent leurs actions par l'entremise d'un intermédiaire n'ont pas vraiment de statut juridique, car seuls les actionnaires «inscrits» ont droit de vote.

La SCSC demande aussi un meilleur encadrement de Broadridge. Cet agent de procurations jouit d'un quasi-monopole au Canada, mais il ne fait l'objet d'aucune réglementation.