Pendant deux ans, l'auteur Walter Isaacson a rencontré Steve Jobs une quarantaine de fois et interviewé une centaine de ses proches, tant de la famille, des collègues et des amis que des détracteurs.

Il en a tiré une biographie qui paraît en français mercredi prochain. La Presse en a obtenu des extraits en primeur.

«Un maître pour mêler idées, art et technologie», un être «intense» et «obsédé par le contrôle»: Walter Isaacson a beau avoir signé des biographies d'Einstein et de Benjamin Franklin, il n'en semble pas moins avoir été fasciné par son plus récent sujet d'étude.

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Mort le 5 octobre dernier à l'âge de 56 ans des suites d'un cancer du pancréas, Steve Jobs a accepté de se confier à Walter Isaacson pendant les dernières années de sa vie. Il s'agit de la seule biographie qu'il ait autorisée, sans toutefois demander à la réviser. Dans les extraits que La Presse a obtenus, le mythique fondateur est décrit comme un homme exigeant, passionné, mais loin d'être parfait. On y découvre un Steve Jobs connu pour son «absence de filtre pour l'empêcher de dire tout ce qui lui passait par la tête».

«Je suis comme ça. Inutile de me demander d'être ce que je ne suis pas», a expliqué Steve Jobs à son biographe.

Une facette de sa personnalité qui l'a souvent desservi, mais qui lui a également permis d'atteindre ses objectifs, écrit Walter Isaacson.

«Les dirigeants polis et doucereux, qui évitent de vexer les gens, ne sont généralement pas doués pour imposer de grands changements. Des dizaines d'employés victimes des foudres de Jobs terminaient leur litanie d'horribles histoires en déclarant qu'il les avait poussés à accomplir des prouesses qui défiaient leur propre imagination», peut-on lire dans le chapitre consacré à l'héritage du chef d'entreprise.

Quelques réflexions avant «off»

Le biographe laisse le mot de la fin au cofondateur d'Apple, près de quatre pages pendant lesquelles il dresse en quelque sorte un bilan de sa carrière. Au moment de faire certaines confidences à son biographe, il semble que Steve Jobs n'avait plus rien à perdre.

Il estime notamment qu'IBM et Microsoft sont en déclin parce qu'elles ont cessé d'accorder de l'importance à leurs produits.

Steve Jobs n'est pas tendre envers Steve Ballmer, l'actuel PDG de Microsoft. « [...] Rien ne changera chez Microsoft tant que Ballmer sera aux commandes», écrit-il.

Le géant de la recherche Google obtient toutefois sa faveur. «À différentes époques par le passé, des sociétés ont personnifié la Silicon Valley. [...] Je pense qu'Apple a joué ce rôle durant un temps, puis cela n'a plus été le cas. Et aujourd'hui, je pense que c'est Apple et Google - un peu plus Apple, je dirais. Selon moi, on a su résister à l'épreuve du temps.»

Walter Isaacson a également discuté de la mort avec le grand patron d'Apple. Steve Jobs lui a confié avoir «envie de croire que quelque chose perdure, peut-être notre conscience».

Après un long silence, Steve Jobs aurait toutefois émis des doutes, dans une explication teintée par sa passion. «D'un autre côté, peut-être que c'est comme un interrupteur on/off. Clic et plus rien!» Il esquissa un sourire. «C'est sûrement pour cela que je n'ai jamais aimé les interrupteurs on/off sur les produits Apple.»

On peut aisément prédire que la biographie sur Steve Jobs s'envolera rapidement des présentoirs. Depuis la mort du cofondateur d'Apple, le livre est en tête de la liste des ouvrages les plus achetés sur le site Amazon. L'auteur, Walter Isaacson, est actuellement PDG de l'institut Aspen et a auparavant dirigé CNN et Time Magazine.

Trois extraits tirés de la biographie Steve Jobs, de Walter Isaacson publié au Québec par les éditions Jean-Claude Lattès, le 26 octobre.

La quête de la perfection

«Sa quête de perfection avait engendré un besoin obsessionnel de contrôler toute la chaîne de fabrication. Il avait de l'urticaire, quand il voyait les superbes logiciels d'Apple équiper le matériel médiocre d'autres fabricants. Il était tout aussi allergique à l'idée que des applications ou des contenus non validés entachent la perfection d'un produit Apple. Pour intégrer logiciel, matériel et contenu dans un système unifié, un seul maître mot: la simplicité.»

Un bouddhiste pas si Zen

«Jobs demeurait colérique et impatient, deux traits de caractère qu'il ne faisait aucun effort pour cacher. La plupart des gens disposaient d'un régulateur entre l'esprit et la parole, afin de moduler leurs émotions brutes et leurs impulsions agressives. Pas Jobs. Il se faisait un devoir d'afficher une honnêteté tranchante. « Mon boulot est de dire quand quelque chose est nul, au lieu de minimiser la situation. » Une attitude qui faisait de lui un être charismatique et brillant, mais aussi parfois, pour utiliser ses propres termes, « un sale con ».

Steve Jobs sur Apple et Microsoft

«Il est facile de jeter la pierre à Microsoft. Ils ont clairement perdu leur domination. (...) Bill aime se définir comme un homme de produits, mais c'est faux. Bill est un homme d'affaires. Gagner des parts de marché était plus important pour lui que réaliser des chefs d'oeuvres. Au final, il est devenu l'homme le plus riche du monde, et si tel était son objectif, il l'a atteint. Personnellement, cela n'a jamais été mon but, et je me demande si c'était vraiment le sien. Je l'admire d'avoir bâti cette compagnie - c'est impressionnant - et j'ai apprécié de travailler avec lui. C'est un type brillant, qui a beaucoup d'humour. Mais l'humanité et l'art ne sont pas inscrits dans les gènes de Microsoft.»