J'ai eu l'immense privilège et le plaisir d'avoir Claude comme voisin de bureau pendant 10 ans. J'ai vite appris à apprécier davantage l'affabilité, la bonne humeur et surtout l'immense érudition de cet homme dont j'étais déjà le collègue depuis une quinzaine d'années environ.

Claude est un autodidacte qui n'est jamais parvenu à émousser sa curiosité pour l'histoire et la géographie. La compréhension de ces deux disciplines est essentielle pour aborder, disséquer et expliquer avec clarté et concision les grands enjeux économiques et fiscaux, la marque de commerce de Claude en somme.

S'il est d'ailleurs une contribution exceptionnelle à laquelle le nom de Claude reste attaché, c'est la prise de conscience des Québécois de tous horizons de l'importance de finances publiques en ordre, garantes de la cohésion sociale.

L'actualité américaine et européenne des temps présents confirme le bien-fondé du parti pris de Claude qui n'a cessé d'argumenter pour la rigueur fiscale, même si cela aura fait de lui la tête de Turc d'une petite mouvance pour qui la discipline fiscale se résume à faire payer les riches.

Vrai, Claude est à ranger parmi les partisans d'un grand libéralisme économique, ce qui lui a valu des quolibets souvent bien injustes de la part de ceux qui confondent libéralisme et libertarisme.

Je me souviendrai toujours d'une chronique où il avait pourfendu une collègue qui s'était indignée que la ministre des Finances de l'époque, Pauline Marois, ait cherché à sortir les femmes de ménage du travail au noir en subventionnant des micro-entreprises de l'économie sociale.

«Les assistées sociales (j'écris le mot au féminin parce qu'il tombe sous le sens que la presque totalité des personnes concernées sont des femmes) qui obtiennent un emploi ont accès à la Régie des rentes et à l'assurance-chômage, ce qui n'est évidemment pas le cas de celles qui se font payer au noir, et qui n'ont droit à aucune protection sociale», écrivait-il en citoyen responsable qui n'a jamais oublié ses origines modestes.

Le côtoyer m'aura permis de le surprendre, enthousiasmé tel un enfant, après avoir monté de toutes pièces un tableau mettant en lumière le sujet d'une de ses chroniques.

Claude est passionné de statistiques et de chiffres. C'est un gymnaste du calcul mental.

Impossible de décrire son plaisir lorsque, après un copieux repas à la carte couronné d'une seule addition, il calcule la part de chacun, pourboire inclus, sur la nappe de papier. Pour une tablée d'une dizaine de convives, sa marge d'erreur était de moins d'un dollar! Un exploit qu'il récompense souvent par une ultime chope, bien méritée.

La rigueur dont Claude fait preuve dans le maniement des données l'a amené à siéger au Conseil national de la statistique pendant plus d'une dizaine d'années. Il s'agit d'un aréopage d'une trentaine de docteurs en démographie, économie, éducation, finances et santé auxquels s'ajoutent un journaliste de chacune des deux solitudes. Le Conseil est chargé de conseiller le statisticien en chef, le grand patron de Statistique Canada qui a le rang de sous-ministre en titre.

Claude s'est imposé autour de cette docte table.

Sur demande du statisticien en chef, il a présidé un sous-comité chargé de trouver une solution viable et honorable à l'épineux dossier du contrat octroyé à Lockheed Martin pour la préparation du recensement de 2006. La firme américaine, grand fournisseur du Pentagone, avait gagné dûment l'appel d'offres lancé selon les règles de l'Accord de libre-échange. Cela avait suscité de vives protestations contre ce qui paraissait à juste titre comme une intrusion indue dans la vie privée des Canadiens.

Claude et ses collègues sont parvenus à déceler la faille bien dissimulée dans l'offre de services du fabricant de matériel militaire et le contrat a pu être résilié.

Depuis 2005, j'occupe le siège de Claude au Conseil et on y parle encore de cet exploit qui lui vaudrait bien une médaille de patriotisme.

Claude ne s'en est jamais vanté pour autant. Sans faire preuve de fausse modestie, il tient avant tout à ne pas être associé aux m'as-tu-vu de ce monde. Les grandes premières, très peu pour lui. Il préfère dîners ou terrains de golf avec des amis.

Claude n'est de toute façon pas en manque de capital de notoriété, comme en font foi les très nombreux courriels que lui expédient ses «chers lecteurs» après presque chacune de ses chroniques.

L'autodidaxie de Claude l'a toujours prémuni du travers de certains journalistes spécialistes de s'adresser à l'élite plutôt qu'à leur public.

C'est cette préoccupation, jumelée à beaucoup de rigueur, qui a fait de lui un chroniqueur redouté et influent, peu importe qu'il prenne la plume, le micro d'une radio ou d'une télé, le lutrin du conférencier.

Claude a choisi finalement de partager plus de temps avec Gisèle à voyager et à vaquer à de nouvelles gourmandises devant les fourneaux.

Qu'il me soit permis en votre nom, ses chers lecteurs, de lui souhaiter une retraite active, longue, heureuse et, pourquoi pas, pleine de témoignages de reconnaissance.