Nous reprenons à compter d'aujourd'hui notre chronique hebdomadaire présentant le point de vue des spécialistes de HEC Montréal sur les grands enjeux de gestion auxquels font face les organisations.

De récents scandales entourant des frais d'administration élevés nous rappellent que les organismes caritatifs oeuvrent dans un marché hautement complexe. D'une part, ces entités servent principalement des personnes en position de vulnérabilité (pauvreté, violence, dépendance, maladie, etc.). D'autre part, ces organismes ont recours à la générosité des donateurs pour assurer leur fonctionnement. Il n'est donc pas surprenant qu'ils soient scrutés à la loupe et que ces nouvelles soulèvent les passions au Québec.

Cependant, une augmentation significative des frais de gestion, comme celle observée à la Société canadienne du Cancer (de 26% à 43% depuis l'an 2000 selon le réseau CBC), n'est malheureusement pas une nouvelle surprenante. En fait, ce milieu a connu de grands bouleversements au cours des ans qui peuvent expliquer en partie du moins cette situation.

Le premier est le rôle occupé par les gourous du marketing et les enseignants en gestion. Dès les années 70, des spécialistes ont réclamé une plus grande professionnalisation du tiers secteur en plaidant pour la transposition des façons de faire du secteur privé à l'univers caritatif. En conséquence, des programmes universitaires en gestion philanthropique ont été ouvertes; des ouvrages ont été rédigés sur les stratégies de levée de fonds et la gestion des organismes; des employés qualifiés et mieux payés sont de plus en plus recrutés par ces organisations.

En second lieu, le désinvestissement de l'État, associé à la libéralisation connue depuis le début des années 80, a aussi eu un impact sur l'univers de la charité. En effet, cette philosophie a été associée dans de nombreux pays à une augmentation du nombre d'organismes de bienfaisance pour pallier le retrait étatique.

Avec environ 85 000 organismes officiels au Canada, atteindre le portefeuille des citoyens est de plus en plus difficile. Ils doivent user de stratégie et déployer plus d'efforts pour trouver du financement.

Finalement, la crise économique mondiale récente a pour effet de mettre encore plus de pression sur les organismes de charité et cela même encore aujourd'hui. Une récente étude d'Imagine Canada montre que les organismes canadiens ont dû supporter, en 2010, une augmentation de 55% de la demande venant des bénéficiaires alors que seulement 24% auraient connu une augmentation de leurs revenus.

Il n'est donc pas surprenant que les coûts consacrés à l'obtention d'un dollar de don ainsi que les frais associés à l'administration et à la levée de fonds puissent aller en augmentant. En parallèle, il est bien d'exiger des organismes caritatifs qu'ils contrôlent leurs dépenses et qu'ils maintiennent des frais globaux faibles. Cependant, un acharnement trop élevé à maintenir de faibles dépenses peut avoir des effets pervers.

Par exemple, un trop petit nombre d'employés salariés, ou de trop faibles dépenses en formation, peuvent avoir un impact négatif sur les capacités à gérer l'organisme et à amasser des fonds. Cela peut également engendrer un taux de roulement élevé affectant la capacité à transmettre le savoir. De faibles investissements en technologies de l'information peuvent limiter les capacités de l'organisme à développer des banques de données satisfaisantes. Et, de faibles dépenses en communication peuvent limiter la possibilité de faire connaître la cause et de toucher les donateurs potentiels.

Il est normal de souhaiter que les organismes caritatifs utilisent l'argent des donateurs le plus efficacement possible. Cependant, autant on ne vérifie guère les ratios financiers des entreprises privées avant de faire l'achat de leurs produits ou services, autant ces mêmes ratios ne devraient représenter qu'un élément dans le choix d'un organisme à supporter.

Il faut aussi évaluer la somme d'argent réelle pouvant être utilisée pour servir la cause et l'impact réel de cet argent auprès de la population desservie par cet organisme. Aussi, comme pour les entreprises privées, il ne faut pas oublier qu'investir peut être nécessaire afin de créer davantage de richesse et qu'un horizon à moyen ou long terme peut être nécessaire afin d'atteindre cet objectif. Ainsi, un regard trop centré sur les ratios de dépenses annuelles peut mener à une vision à court terme allant à l'encontre de l'organisme et, au bout du compte, de la cause...

Jonathan Deschênes est professeur adjoint en marketing à HEC Montréal. Il peut être joint à jonathan.deschenes@hec.ca.