Larguez des actifs, cédez des brevets ou vendez l'entreprise au grand complet, mais faites quelque chose: c'est le message lancé hier par un important actionnaire de Research in Motion (T.RIM), faisant augmenter la pression sur le fabricant canadien du BlackBerry.

Dans un communiqué lapidaire, la banque d'investissement torontoise Jaguar Financial Corporation a réclamé hier des actions radicales de la part de RIM pour freiner la dégringolade de son titre en Bourse, qui a perdu près de 80% depuis juin 2008. «Le statu quo est inacceptable, l'entreprise ne peut rester assise et ne rien faire. Le temps des transformations est venu», a dit le président de Jaguar, Vic Alboini.

Ce pavé dans la mare a toutefois été accueilli avec scepticisme par certains analystes, qui exhortent au contraire RIM à se concentrer sur le lancement de ses nouveaux produits si elle veut espérer se sortir du pétrin.

La sortie de Jaguar fait suite aux difficultés de RIM, qui essuie la concurrence d'Apple et Google dans le créneau des téléphones intelligents et des tablettes numériques.

Jaguar, firme qui brasse régulièrement la cage des entreprises dans lesquelles elle investit, dit avoir reçu l'appui de plusieurs autres actionnaires de RIM. Le groupe cherche à influencer les membres du conseil d'administration du géant canadien.

Selon Jaguar, RIM doit former un comité spécial qui chercherait à maximiser la valeur de RIM en Bourse. La vente de brevets, qui pourrait rapporter quelque part entre 2 et 5 milliards selon les experts interrogés par La Presse Affaires, fait partie des options proposées par Jaguar.

Mais le patron de Jaguar n'écarte rien, y compris la vente complète de l'entreprise. En entrevue, M. Alboini a dit estimer la valeur de RIM à environ 31,5 milliards, soit environ 60$ par action.

Dans un marché en baisse, l'action de RIM a gagné hier 3,51% pour clôturer à 30,63$. Notons que le titre avait frôlé les 150$ en juin 2008.

Jaguar réclame aussi la fin de la «gouvernance à deux têtes» de RIM, dirigée par les co-chefs de la direction Jim Balsillie et Mike Lazaridis.

Un analyste de RBC Marchés des capitaux, Mike Abramsky, avait déjà proposé de scinder RIM en deux entités, l'une se concentrant sur les logiciels, l'autre sur la fabrication d'appareils. Selon lui, la première vaudrait entre 19 et 21 milliards, comparativement à 7 ou 8 milliards pour les activités manufacturières.

«Jaguar me semble préoccupé par l'idée de faire rebondir le prix de l'action de RIM à courte échéance, mais je ne crois pas qu'il s'agisse de solutions à long terme», croit Iain Grant, analyste au Seaboard Group, firme d'analyse en télécommunications.

Troy Crandall, vice-président et analyste chez MacDougall, MacDougall&MacTier, exhorte même les dirigeants de RIM à ne pas écouter les avertissements de Jaguar et à se concentrer sur le développement de son système d'exploitation, QNX, qui alimentera ses nouveaux appareils dès l'an prochain.

«RIM est à une étape très critique de son développement et doit absolument réussir ce lancement. Je crois que la direction doit éviter de se laisser distraire. Si le lancement de QNX échoue, le moment sera alors venu de considérer sérieusement le morcellement ou la vente de l'entreprise», dit-il.

«Il ne faut pas attendre d'être complètement sous l'eau avant de commencer à trouver des solutions», réplique Vic Alboini, de Jaguar Financial.

Selon lui, un comité spécial formé de membres du conseil d'administration pourrait très bien évaluer les options de RIM indépendamment de la direction, qui continuerait à diriger les activités courantes.

M. Alboini explique que la valeur de la propriété intellectuelle est actuellement très élevée dans le monde des télécommunications. La mise aux enchères des brevets de Nortel a rapporté 4,5 milliards cet été, soit quatre fois plus que prévu. Google vient aussi d'offrir 12,5 milliards pour Motorola, une offre en grande partie motivée par son portefeuille de brevets.

«Il y a une fenêtre d'opportunité et RIM doit en profiter», dit M. Alboini.

Selon les estimations de l'analyste Troy Crandall, RIM possède probablement autour de 7500 brevets qui risquent d'intéresser des entreprises aussi diverses que Microsoft, Nokia ou Samsung.

Des manufacturiers asiatiques comme Foxconn, qui fabrique notamment les produits d'Apple, pourraient quant à eux être intéressés par la division de fabrication de produits de RIM si l'entreprise en venait à se morceler.