Sévère cure d'amincissement chez Research In Motion, qui a licencié lundi 2000 employés, soit 11% de sa main-d'oeuvre. Un pas en arrière pour mieux avancer? Ou le début de la fin d'un géant canadien de l'innovation, dont le titre a baissé de 56% en Bourse depuis un an? Seul l'avenir - si difficile à prédire dans le secteur des télécoms - le dira.

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Jadis le téléphone intelligent de loin le plus populaire du monde, le BlackBerry de Research In Motion (RIM) s'est fait dépasser par l'iPhone d'Apple et le système d'exploitation Android de Google. Et les analystes doutent que RIM, dont le siège social est à Waterloo, en Ontario, puisse reprendre les devants dans ce marché si concurrentiel.

«RIM avait 80% du marché il y a quelques années, mais ils n'ont pas vu venir la montée d'Apple et de Google, dit Ramy Elitzur, professeur d'analyse financière à l'Université de Toronto. C'est triste, car c'est une entreprise de chez nous, mais les gens chez RIM se sont endormis.»

«RIM est toujours en mode croissance, mais pas autant qu'Apple et Google», dit Iain Grant, directeur général du SeaBoard Group, firme montréalaise de consultation dans le secteur technologique.

Au dernier trimestre, RIM avait 57 millions de clients pour son BlackBerry. Apple atteindra 100 millions de clients pour son iPhone avant la fin de l'année, selon Morgan Stanley. «Quand vous tirez de l'arrière du point de vue du public, c'est très difficile de revenir au premier plan, dit le professeur Ramy Elitzur. Regardez ce qui est arrivé avec Palm.»

Malgré ses difficultés, Research In Motion reste très populaire auprès de la clientèle d'affaires. «RIM deviendra sans doute un acteur spécialisé dans son créneau, dit le professeur Ramy Elitzur. Le seul ennui, c'est que je ne connais pas de jeunes qui ont un BlackBerry. Ils ont tous des iPhone et ce sont les gens d'affaires de demain.»

«Des centaines de millions de consommateurs utilisent déjà le BlackBerry. Le meilleur atout de RIM, c'est l'inertie du marché!», dit Iain Grant, directeur général du SeaBoard Group.

Le consultant montréalais croit toutefois que RIM ferait erreur de se reposer sur ses lauriers. «La clientèle d'affaires ressemble de plus en plus à celle des consommateurs et RIM est faible dans ce domaine», dit Iain Grant.

Le double avantage de RIM

Les deux grands avantages du BlackBerry sur ses concurrents? La sécurité du système et, surtout, la compression automatique des données, qui permet d'économiser des coûts de bande passante. L'ennui, c'est que ce dernier avantage diminuera avec le temps. «Comme le coût de téléchargement des données diminue et que les réseaux deviennent plus rapides, la frugalité du BlackBerry deviendra moins importante», dit le consultant montréalais Iain Grant.

Aux États-Unis, l'avantage de RIM sur la compression des données ne tient déjà plus: Android est le système d'exploitation le plus populaire parmi les téléphones intelligents avec 29 % des parts de marché, contre 27% pour Apple et 27% pour RIM, selon Nielsen. En Europe et en Asie, le BlackBerry reste plus économique - pour l'instant. «La véritable question, c'est de savoir si la tendance nord-américaine s'étendra en Europe et en Asie, ou si ce sera le contraire», dit le professeur Ramy Elitzur, dont le patron à la Faculté de gestion de l'Université de Toronto (le doyen Roger Martin) est membre du conseil d'administration de RIM.

Autre source d'inquiétude chez RIM: le PlayBook, sa tablette électronique lancée en avril dernier dont la production a été interrompue la semaine dernière. Traduction libre: le PlayBook ne se vend pas aussi bien que prévu et les stocks s'accumulent en magasin.

Vendre ou acheter le titre?

Aucun maire n'aime voir ses concitoyens perdre leur emploi, mais la mairesse de Waterloo, Brenda Halloran, met en perspective le licenciement des 2000 employés de RIM, qui comptera toujours 17 000 employés dans le monde. «L'entreprise a engagé 1000 personnes par année depuis 2006, elle avait fait plusieurs acquisitions et elle avait annoncé qu'elle devait ajuster ses effectifs, dit-elle. Heureusement, il y a plus de 800 entreprises de haute technologie dans la région, et plusieurs d'entre elles font des embauches.»

La mairesse Halloran reste confiante sur les perspectives d'avenir de l'entreprise citoyenne la plus importante de sa ville. «Le BlackBerry est utilisé par 57 millions de personnes, l'entreprise n'a pas de dette et 3 milliards en liquidités», dit-elle.

Les investisseurs ne partagent pas son optimisme. Depuis un an, le titre a perdu 56% de sa valeur, dont une nouvelle dépréciation de 4,8% lundi pour clôturer à 25,19 $ à la Bourse de Toronto. Des 53 analystes financiers répertoriés par Bloomberg qui suivent le titre de RIM, seulement 10 suggèrent de l'acheter malgré des états financiers impeccables. «En théorie, la situation financière de RIM est excellente et l'action est sous-évaluée, dit le professeur Ramy Elitzur. Mais si on pense que RIM continuera son déclin, alors l'action est surévaluée.»