Malgré la poussée des prix à la consommation, tout indique que la Banque du Canada reconduira demain son taux directeur, fixé à 1,0% depuis septembre.

Dans son scénario d'avril, la Banque s'attendait à ce que le rythme d'inflation dépasse momentanément sa cible de 2%, à cause de pressions passagères exercées par les prix de l'essence et des aliments en particulier. Elle voyait la progression annuelle de l'indice des prix à la consommation (IPC) à 2,4%. Il était plutôt de 3,3% en avril, ce qui est même au-delà de la fourchette de 1% à 3% dans laquelle elle souhaite voir évoluer les prix.

Même l'indice de référence (IPCX) qui exclut huit des composantes les plus volatiles de l'IPC - dont l'essence, les fruits et légumes frais et transformés - évolue quatre crans plus haut que son pronostic de 1,2%.

Ce rythme plus rapide de l'évolution des prix a même incité la semaine dernière l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), de même que le Conseil de politique monétaire (CPM) de l'Institut C.D. Howe, à recommander à la Banque de reprendre la normalisation de son taux directeur dès demain pour ne pas laisser s'emballer l'inflation.

Le CPM recommande aussi aux autorités monétaires canadiennes de donner un deuxième tour de vis le 19 juillet alors que les économistes du secteur financier reportent à septembre, voire octobre, leur prévision d'une prochaine hausse du loyer de l'argent.

Prolonger la pause

La politique monétaire canadienne est extrêmement accommodante, compte tenu de l'inflation. En plus, la bonne performance canadienne dans la gestion des finances publiques permet à Ottawa d'emprunter ces jours-ci pendant 10 ans à un taux inférieur à l'inflation. Un crédit si bon marché est de nature à stimuler l'économie alors que la Banque devrait apprendre aujourd'hui qu'elle a crû d'environ 4% en rythme annuel au premier trimestre, ce qui est conforme à son scénario.

Alors, pourquoi prolonger la pause?

D'abord, parce que ce beau chiffre d'environ 4% repose sur la poussée de production au tournant de l'année. Dès février, l'économie a reculé et les indicateurs connus pour mars suggèrent une faible croissance fondée en bonne partie sur du restockage.

Ensuite, parce que les risques à son scénario de croissance des deux prochaines années s'aggravent depuis un mois.

L'économie américaine montre des signes d'essoufflement peu rassurants alors que son marché de l'habitation creuse encore sa crise qui s'étire depuis cinq ans déjà. En outre, la classe politique paraît toujours aussi déchirée sur la façon de rétablir de façon crédible les finances publiques.

Quelle que soit la solution retenue, elle sera douloureuse et entravera la croissance et la création d'emplois, comme en fait foi déjà l'austérité adoptée par plusieurs États et municipalités.

Du côté européen, les coupes budgétaires sombres et les hausses de taxes du Royaume-Uni le plongent en stagnation sans alléger les pressions inflationnistes. C'est le cauchemar de la stagflation.

La zone euro est de plus en plus fragilisée par la crise de la dette souveraine de plusieurs de ses pays membres. Qui plus est, le Fonds monétaire international, qui en deux ans a fait passer de presque rien à 79,5% la part européenne de ses prêts, traverse une crise. Elle l'empêchera de jouer son rôle de médiateur entre les États membres et la Banque centrale européenne au cours des deux ou trois prochains mois. Cela n'est guère rassurant pour les banques détentrices de paquets d'obligations, grecques, irlandaises, portugaises, voire espagnoles ou italiennes.

Dans les économies émergentes où il y a surchauffe, les resserrements monétaires commencent à l'attiédir. Le Japon, replongé en récession après les séismes de Tohoku, ralentit la fourniture de pièces et composants du matériel électronique monté en Chine et ses environs ou des automobiles assemblées aux États-Unis et au Canada.

Bref, si l'économie mondiale ralentit en ce deuxième trimestre, les pressions inflationnistes faibliront avant longtemps.

Les optimistes voient déjà un rebond à compter de l'été quand commencera la reconstruction des zones dévastées du Japon. Le ralentissement présent serait à comparer à celui d'il y a un an, somme toute.

Les pessimistes croient plutôt que c'est l'expansion de tout le cycle présent qui sera sans éclat, compte tenu des efforts que l'Occident (et le Japon) devra consentir pour rétablir les finances publiques et la solidité du système financier toujours fragile.

Malgré la bonne performance canadienne à ces égards, nous n'avons pas échappé à la récession en 2008-2009. Nous ne pourrons éviter non plus le présent ralentissement. D'autant plus que cette fois-ci, le consommateur est beaucoup plus endetté.

Voilà des arguments qui militent pour que la Banque du Canada ne se hâte pas de normaliser son taux.