Au sortir d'une campagne électorale où, comme d'habitude, les promesses abondaient, les services publics avaient la vedette: un pont par-ci, un échangeur par-là, pour ne parler que du domaine des transports. Malheureusement, ces effets d'annonce, qui stimulent la fibre émotionnelle des électeurs, sont trop peu souvent accompagnés de discussions rationnelles sur leur corollaire financier: comment allons-nous payer tout ça?

Le Québec a longtemps misé sur l'impôt général pour financer ses services publics. Il reconnaît, cependant, que certains services nécessitent de prendre le virage de la tarification, terme qui figure régulièrement au budget provincial. Toutefois, la nuance entre budgétisation et tarification lui semble encore floue, comme nous allons le voir.

Deux logiques opposées

La budgétisation est une démarche globale. Elle consiste à faire deux estimations, relativement indépendantes: d'une part, la prévision des ressources raisonnablement affectables au service public (recettes) et, d'autre part, la prévision de l'usage qui en sera fait. Ce qu'on appelle malencontreusement un «tarif» ne résulte alors que d'une division entre la part du financement que le politique décide d'imposer directement aux usagers et le volume d'utilisation escompté. Ex post, la prévision budgétaire a donc toutes les chances d'être déjouée puisque le (faux) tarif est le résultat arithmétique de deux prévisions incertaines.

À l'inverse, la tarification n'est pas une démarche globale mais unitaire. Ce qui compte ici est de faire payer à sa valeur réelle la fourniture du service: coûts imposés par les usagers et, éventuellement, bénéfices générés pour les non-usagers (par exemple, les automobilistes qui bénéficient d'une congestion réduite grâce au métro). Ainsi, si les bénéfices dépassent les coûts, le financement du service suit alors nécessairement; sinon, c'est que le niveau de service est à revoir. Bien entendu, cette démarche nécessite que des études soient faites pour identifier ce qui coûte, ce qui bénéficie, et de combien.

Bref, budgétisation et tarification suivent des logiques de financement opposées. 1) La budgétisation a pour objectif le futur équilibre comptable, s'exposant ainsi à l'incertitude (sur le volume d'utilisation) et à l'injustice (à l'égard des citoyens usagers ou non). 2) La tarification, elle, reflète la réalité des coûts et avantages pour l'ensemble des citoyens (usagers ou non). Le financement du service s'obtient automatiquement, tout en réduisant considérablement les risques de mauvaise gestion et d'iniquité.

Un petit jeu-questionnaire

Après cette discussion un peu lourde pour un mardi matin, je vous propose une illustration sous forme de jeu-questionnaire.

Première question. La majorité d'entre nous payons notre eau résidentielle par l'entremise de l'impôt foncier, pour les propriétaires, ou du loyer, pour les locataires. D'après vous, sommes-nous dans une logique a) de budgétisation ou b) de tarification?

Vous l'aurez deviné, la réponse est a), puisque le paiement, qui porte (malheureusement) le nom «tarif» dans les textes officiels, est le même quelle que soit la quantité consommée. Je ne m'étendrai pas ici sur les problèmes d'inefficacité et d'iniquité que soulève l'image bien connue du banlieusard arrosant son entrée de garage.

Deuxième question, un peu plus difficile: La taxe provinciale de 17,2 cents par litre d'essence est-elle un véritable tarif?

Cela y ressemble, puisque plus on conduit, plus on paye. Pourtant, la bonne réponse est «ça dépend de comment a été établi le montant». Si les 17,2 cents proviennent (ce dont je doute) d'un calcul d'ingénierie des coûts qu'un automobiliste moyen impose avec un litre d'essence (usure de l'asphalte, pollution, etc.), alors on peut parler de tarification. En revanche, si le montant est issu d'une règle de trois pour combler un déficit budgétaire, nous sommes dans une logique de budget.

Morale de l'histoire, tout ce qui ressemble à de la tarification, ou qui en porte le nom, n'en est pas forcément.

Fuite vers l'avant

Qui n'a jamais eu l'impression que nos gouvernements (provincial et municipaux) «fuyaient vers l'avant», exigeant toujours plus de leurs contribuables? C'est le symptôme typique d'un financement en inadéquation avec la structure (des coûts et bénéfices) des services fournis. Pourtant, la solution n'est pas là: prélever toujours plus pour des infrastructures mal gérées, c'est tenter de remplir un seau percé. Il faut avant tout réparer la fuite, grâce à de meilleures pratiques de financement.

Certes, la budgétisation peut convenir pour certains services, comme la santé, ou l'éducation, que l'on préfère ne pas tarifer pour des raisons morales ou culturelles. Pour d'autres, en revanche, c'est moins clair. Face à l'état de notre réseau routier, ou au gigantesque gaspillage constaté dans l'utilisation de l'eau, on peut se demander si une tarification judicieuse ne serait pas plus indiquée.

Pour joindre notre collaborateur: justin.leroux@hec.ca

Justin Leroux est professeur agrégé en économie appliquée à HEC Montréal. Il est membre régulier du Centre interuniversitaire sur le risque, les politiques économiques et l'emploi (CIRPEE) et Fellow du Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO).