La rémunération au rendement est largement répandue dans tous les secteurs d'activité économique et à tous les niveaux hiérarchiques d'une organisation. Bien que l'efficacité des systèmes de rémunération au rendement soit souvent remise en cause, leur utilisation est essentielle quand il s'agit d'orienter les efforts des gestionnaires vers l'atteinte des objectifs stratégiques de l'entreprise.

La mise en place de ces systèmes comporte plusieurs défis de taille. Parmi ceux-ci, on trouve le choix des mesures de performance.

En pratique, les mesures financières sont souvent jugées inadéquates quand il s'agit d'évaluer et de récompenser les gestionnaires devant accomplir de multiples tâches. Bien qu'elles soient objectives et vérifiables, ces mesures peuvent mettre l'accent sur le rendement à court terme. Elles ne tiennent pas compte des qualités managériales; elles peuvent même récompenser des comportements indésirables. Pour ces raisons, les bonnes pratiques suggèrent de combiner des mesures non financières et des mesures subjectives avec des mesures financières. L'évaluation du rendement devient ainsi un exercice qui fait appel à la subjectivité, car elle est fondée en partie sur le jugement et le pouvoir discrétionnaire du supérieur.

La subjectivité dans l'évaluation de la performance des gestionnaires comporte des avantages. Elle permet de tenir compte des changements stratégiques, environnementaux ou d'autres événements incontrôlables qui pourraient affecter la performance managériale. La discrétion de l'évaluateur peut aussi être utilisée pour neutraliser l'effet des comportements non souhaités. En bref, l'utilisation de la subjectivité peut rendre plus efficaces les systèmes de rémunération en réduisant le risque pour les gestionnaires et les coûts pour l'entreprise.

Enquête

Afin de mieux comprendre les enjeux liés à l'utilisation de la subjectivité dans l'évaluation de la performance et de l'attribution des primes au rendement, nous avons administré un questionnaire à un échantillon de 339 gestionnaires, de niveaux intermédiaire et supérieur, membres de l'Ordre des comptables en management accrédités du Québec. Notre enquête révèle notamment que les systèmes d'évaluation de la performance de ces gestionnaires contiennent en moyenne 11,2 mesures de performance réparties en 3 catégories: 19% de financières, 37% de non financières et 44% de subjectives. La pondération accordée à chaque catégorie est assez semblable, une moyenne de 29%, 38% et 32% pour les mesures financières, non financières et subjectives respectivement.

En somme, il semble que l'utilisation de diverses mesures de performance permette d'associer des aspects subjectifs du rendement à des mesures financières et non financières.

On trouve des résultats similaires pour l'ensemble des 11 secteurs d'activité identifiés dans l'étude. C'est dans les secteurs pharmaceutique et biotechnologique, où l'innovation est un facteur-clé de développement, que l'utilisation de mesures subjectives est la plus importante, 55% et 48% respectivement. Lorsqu'on considère la structure de propriété, on constate que la subjectivité est également omniprésente dans les systèmes d'évaluation de la performance managériale. Le taux varie de 37% pour les coopératives à 47% dans le secteur public.

De surcroît, environ 60% des gestionnaires ont indiqué que plus de 50% de leur prime en espèces était déterminée en utilisant une approche subjective plutôt que des mesures objectives et quantifiables.

L'enquête révèle aussi que l'utilisation de la subjectivité peut prendre deux autres formes. La première concerne la flexibilité dans la pondération des diverses mesures de rendement. Environ 30% des gestionnaires ont indiqué que cette pondération pouvait être modifiée sans qu'ils en soient informés. La deuxième forme de subjectivité touche l'attribution de la prime au rendement. Environ 27% des gestionnaires ont répondu que leur supérieur avait le pouvoir discrétionnaire de déterminer la valeur de leur prime en espèces, et environ 33% ont affirmé que leur supérieur pouvait ajuster la valeur de cette prime en tenant compte des facteurs contextuels survenus au cours de la période d'évaluation.

Lorsqu'elles sont utilisées en combinaison, ces trois formes de subjectivité améliorent les systèmes d'évaluation de la performance et l'attribution des primes au rendement, car elles permettent de filtrer les événements incontrôlables et de corriger les problèmes créés par l'utilisation de mesures financières inadéquates.

En revanche, l'étude nous apprend que l'utilisation de la subjectivité peut parfois être questionnable et, en conséquence, créer un sentiment d'injustice envers le processus d'évaluation. Il en est ainsi quand les mesures sur lesquelles est basée l'évaluation sont difficilement vérifiables. En conclusion, même si l'utilisation de la subjectivité améliore l'efficacité des systèmes de rémunération du rendement, nous croyons qu'elle doit être utilisée avec vigilance.

Suzanne Landry, Ph. D., M.Fisc., FCA, FCMA, et Eduardo Schiehll, Ph. D., M.Sc., CMA, sont professeurs en sciences comptables à HEC Montréal.