Guy Drouin ne manque pas d'humour. Il y a une vingtaine d'années, le patron de l'entreprise montréalaise Biothermica a réussi à obtenir un demi-million de dollars en subventions d'un programme fédéral destiné à l'exploration gazière. Sa prétention de l'époque: avoir découvert «le plus gros gisement gazier du Canada à l'est de l'Alberta».

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«Les gens me demandaient: il est où, ton gisement? Je leur répondais: au centre-ville de Montréal!», raconte M. Drouin en riant.

Oubliez les schistes qui se rapprochent de la métropole. Ce gisement, c'est celui de la carrière Miron, terrain d'enfouissement dont les 38 millions de tonnes de déchets génèrent un gaz qui intéresse Biothermica: le méthane.

Tel un vrai explorateur gazier, M. Drouin a prélevé des carottes à même les déchets pour en évaluer le «potentiel gazier». Aujourd'hui, l'homme se promène fièrement dans la centrale électrique Gazmont, qui transforme en électricité le méthane capté par 400 puits creusés dans le terrain d'enfouissement.

«Ça, c'est du concret», proclame M. Drouin en ouvrant le petit hublot d'une immense chaudière qui permet d'apercevoir une flamme bleutée brûlant du méthane.

Ouverte en 1996, la centrale Gazmont a été l'un des premiers projets de Biothermica. Depuis, le modèle d'affaires de l'entreprise a évolué, notamment pour tirer profit de la nouvelle économie du carbone. Mais la spécialité de la maison demeurede repérer des «gisements gaziers» ... là où les autres ne voient que des sources de pollution.

Du sous-sol à la planète

Entreprise pionnière des technologies propres au Québec, Biothermica a été fondée en 1987 par M. Drouin, ancien président d'une filiale de SNC qui travaillait sur les énergies renouvelables.

«J'ai tout monté avec 100$, en partant de zéro dans la cave chez nous», lance fièrement l'entrepreneur.

Fait rare pour une entreprise technologique, Biothermica n'a jamais eu recours à des capitaux extérieurs, finançant sa croissance à même ses revenus.

L'entreprise a débuté en brevetant des technologies permettant aux entreprises de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. La boîte montréalaise possède toujours une division qui vend des équipements environnementaux autant aux alumineries d'Alcoa qu'aux usines de Bombardier et de McCain Foods. Mais au fil des ans, elle a découvert qu'elle pouvait utiliser elle-même ses technologies pour concevoir des projets de réduction de gaz à effet de serre.

Ce qu'elle cherche est le même gaz qui l'a attirée à la carrière Miron: le méthane. Biothermica le trouve dans les terrains d'enfouissement de déchets et les mines de charbon, où le gaz est bien connu des mineurs pour les explosions qu'il provoque (les fameux «coups de grisou»).

Ce méthane que les exploitants des terrains produisent contre leur gré, Biothermica l'utilise comme matière première.

«Ça fait un peu drôle à dire, mais on va voir ces gens et on leur dit: ta pollution, on l'achète», lance Guy Drouin.

Biothermica fait deux choses de ce méthane polluant. D'abord de l'électricité, comme à la carrière Miron. Mais en empêchant ce gaz à effet de serre 21 fois plus puissant que le CO2 d'atteindre l'atmosphère, l'entreprise peut aussi le transformer en crédits de carbone, ces produits prisés des entreprises obligées de réduire leurs émissions de GES.

«L'avantage du méthane, c'est que quand on en attrape une tonne, on peut vendre 21 tonnes d'équivalents CO2 en crédits», souligne M. Drouin.

L'affaire est loin d'être théorique. Aujourd'hui, le grand patron estime que 40% de son chiffre d'affaires provient de la vente de crédits de carbone, contre 60% de la vente d'électricité et d'équipement.

Comme aucun marché réglementé du carbone n'existe encore en Amérique du Nord, Biothermica va jouer partout où c'est payant. Le protocole de Kyoto, par exemple, permet aux sociétés européennes qui sont obligées de réduire leurs émissions de GES de remplir une partie de leurs obligations en achetant des crédits provenant de projets réalisés dans les pays en voie de développement.

C'est ce qui a poussé Biothermica à aller capter le méthane dégagé par un terrain d'enfouissement à Nejapa, au Salvador. Ce projet a déjà permis de vendre 325 000 tonnes de crédits de carbone au gouvernement du Luxembourg. Prix de vente : de 15 à 20$ la tonne, pour des revenus d'environ 6 millions.

Biothermica ne boude pas l'Amérique du Nord pour autant. L'entreprise investira plus de 5 millions pour capter le carbone dégagé par une mine de charbon en Alabama. Guy Drouin admet que ce projet pourrait bien ne jamais être rentable si aucun marché réglementé ne se met en place sur le continent. Et même si un tel marché voit le jour, il faudra qu'il accepte des crédits de ce genre, ce qui représente un autre pari.

«Mais nous, on investit quand même. Ce projet est une vitrine. C'est le prix à payer pour être reconnu comme un précurseur dans le domaine», dit Guy Drouin.

Biothermica est aussi en train de négocier des ententes avec des producteurs de méthane de pays aussi divers que l'Ukraine, l'Inde, le Kazakhstan, la Chine, la Russie, l'Australie et le Mexique.

En parallèle, l'équipe de M. Drouin fait du lobbyisme intense auprès du Québec et de la Californie pour que le marché du carbone qu'ils travaillent à mettre en place ensemble reconnaisse les crédits provenant du captage du méthane minier.

«Oui, nos activités sont dépendantes de la politique, admet M. Drouin. Mais on ne reste pas inactifs: on parle aux décideurs, on fait du lobbyisme. Et en attendant que ça décolle en Amérique du Nord, on travaille ailleurs, on apprend beaucoup et on s'améliore.»

BIOTHERMICA

Fondateur et président

Guy Drouin

Investisseurs

Famille Drouin

Le concept en 140 caractères

«Biothermica crée des technologies et des projets de réduction de gaz à effet de serre. Avec ses propres technologies, elle génère des crédits de carbone qu'elle vend sur les marchés internationaux.»

Objectifs d'ici un an

Signer des accords de droits gaziers en Australie, au Kazakhstan et au Mexique et démarrer la construction des installations pour capter les gaz. Aux États-Unis, commencer à exploiter une usine de captage de méthane minier.