Laboratoires de l'entreprise Alethia Biothérapeutiques, par un mardi après-midi. Parmi les fioles, écrans plats et autres machines chères aux microbiologistes, une radio perchée sur un réfrigérateur joue un vieux disque de Nirvana.

> Suivez Philippe Mercure sur Twitter

Devant, un jeune homme en sarrau manipule des éprouvettes. Dans la lutte que livre la science au cancer, ce chercheur fait son effort de guerre. Son boulot: tester des armes contre les cellules cancéreuses. Il y a toutefois une différence avec les milliers de scientifiques qui font la même chose partout sur la planète. Lui vise à côté de là où bombarde à peu près tout le monde.

Alethia est une jeune biotech montréalaise qui a breveté une méthode pour identifier de nouvelles cibles thérapeutiques sur les cellules cancéreuses. Son truc, complexe, passe par l'examen de l'ARN messager, un composé qui intervient dans la fabrication de protéines.

«On cherche ce qui s'allume dans les cellules cancéreuses et ne s'allume pas dans les tissus sains, résume Mario Filion, fondateur, vice-président directeur et chef de la direction scientifique d'Alethia Biothérapeutiques. Et ça devient des cibles d'attaque pour de nouveaux médicaments.»

L'avantage de procéder ainsi est double. D'abord, en déterminant précisément ce qui distingue les cellules cancéreuses des autres, Alethia espère créer des médicaments qui s'attaqueront seulement aux cellules malades, minimisant les dommages collatéraux faits aux cellules saines.

L'autre avantage, c'est qu'en identifiant ses propres cibles, Alethia se distingue de ses concurrents. La plupart du temps, ceux-ci rivalisent d'ingéniosité pour concevoir des missiles plus sophistiqués les uns que les autres, mais souvent destinés à s'abattre sur les mêmes cibles connues.

Il y a toutefois un hic à vouloir débroussailler de nouveaux sentiers: il faudra du temps à Alethia, beaucoup de temps, avant de sortir du bois.

Pour l'instant, l'entreprise en est encore à tester ses meilleures armes contre le cancer sur les animaux. Dans le meilleur des scénarios, il faudrait attendre 2019 pour assister à la commercialisation d'un médicament.

«On est vraiment dans l'innovant. On travaille même sur des molécules dont la science n'est pas encore connue. On est en train d'écrire de nouveaux chapitres de la biologie», dit M. Filion.

Une étape à la fois

Même si l'objectif ultime n'est pas pour demain, l'entreprise a tout de même franchi quelques étapes-clés qui ont éveillé l'intérêt des investisseurs.

Alethia est née des cendres de SignalGene, ancienne biotech inscrite à la Bourse de Toronto qui a fini par être achetée par une pétrolière pour ses pertes fiscales.

En 2002, Mario Filion a récupéré la technologie et l'a fait progresser, décrochant en cours de route de précieux brevets. C'est en 2005 qu'il a recruté Yves Cornellier, vieux routier de l'industrie pharmaceutique qui a notamment roulé sa bosse chez LAB International, Laboratoires Abott et Glaxo Canada.

«Mario, c'est le gars de science. Moi, je suis le gars de business», explique M. Cornellier, qui dit avoir quitté le confort des grandes entreprises pour aiguiser sa «fibre entrepreneuriale» dans une boîte en démarrage.

Jusqu'en 2007, Alethia reste toutefois une entreprise peu susceptible d'intéresser les investisseurs. La société a découvert de nouvelles cibles sur les cellules cancéreuses, mais ne possède aucune arme pour les attaquer.

Tout change grâce à une astucieuse entente avec Biosite, entreprise de San Diego qui a fait l'objet d'une acquisition depuis. Contrairement à Alethia, Biosite fabrique des armes contre le cancer - des anticorps monoclonaux, pour être plus précis. Mais elle cherche des cibles en vue de concevoir un test diagnostic pour le cancer des ovaires. Et de telles cibles, Alethia en a identifié.

«On a fait un échange de bons procédés. On leur a donné une option sur nos cibles contre des librairies d'anticorps monoclonaux - environ 150 anticorps par cible», explique Yves Cornellier, qui décrit l'entente comme un «tournant» pour Alethia.

«Il aurait fallu dépenser des dizaines de millions de dollars pour fabriquer nous-mêmes ce qu'on a obtenu», dit-il.

Forte de cette combinaison «cibles plus armes», Alethia est parvenue à intéresser les investisseurs. En mars 2008, la Banque de développement du Canada et Go Capital ont conjointement misé 2,4 millions sur Alethia, puis réinjecté 2,1 millions supplémentaires dans l'entreprise en 2009.

En septembre dernier, le fonds de capital-risque québécois AgeChem s'est joint aux deux investisseurs initiaux pour une nouvelle ronde de financement de 9,6 millions.

Aujourd'hui, Alethia espère commencer à tester elle-même l'un de ses produits sur les humains d'ici 15 mois, et est à la cherche d'un partenaire pour en tester un deuxième. La boîte de 15 employés veut aussi recruter trois autres travailleurs pour l'épauler dans cette nouvelle mission.

«Jusqu'à maintenant, on était beaucoup dans le R de la R&D - la recherche, dit M. Cornellier. Là, on passe au développement.»

------------------

ALETHIA

Fondateur

Mario Filion

Président

Yves Cornellier

Investisseurs

Banque de développement du Canada (BDC), Go Capital (société en commandite qui regroupe FIER partenaires, la BDC, la Caisse de dépôt, le Fonds de solidarité FTQ et Fondaction CSN) et le fonds de capital-risque québécois Agechem.

Le concept en 140 caractères

«Alethia est une biotech spécialisée dans la création d'anticorps comme agents thérapeutiques visant des cibles pathologiques découvertes à l'interne. « Yves Cornelier

Objectifs d'ici un an

Obtenir l'autorisation de tester un premier produit chez l'humain, et trouver un partenaire qui pourra en tester un deuxième pour le compte d'Alethia.