En 2001, le monde a changé. Il y a eu certes les attentats terroristes du 11 septembre qui ont créé un grand traumatisme dans tout l'Occident et l'éclatement de la technobulle boursière qui a ruiné bien des épargnants.

Il reste que l'événement marquant du troisième millénaire à ce jour, c'est l'acceptation par l'Occident de la Chine dans l'Organisation mondiale du commerce.

«L'Occident a en réalité (...) introduit un éléphant dans un magasin de porcelaine, montre Erik Izraelewicz dans son essai un brin pamphlétaire, L'arrogance chinoise. Comment vivre avec cet éléphant de plus en plus encombrant, de plus en plus sûr de lui aussi, comment éviter qu'il y ait trop de casse dans la boutique?»

Une décennie à peine aura suffi à nous montrer comment cette décision a bouleversé l'économie mondialisée. L'empire du Milieu est devenu le manufacturier de la planète, le premier exportateur du monde devant l'Allemagne, mais aussi un réseau ferroviaire plus important que celui installé dans tous les autres pays réunis.

La Chine ne fait pas qu'assembler pour le compte d'autrui, ces géants américains, sud-coréens ou japonais. Elle dispose désormais de sa technologie indigène. Ses entreprises produisent déjà la moitié des panneaux solaires du monde.

Elle est aussi le premier producteur mondial de riz, de pommes, d'acier, de béton, de bicyclettes, de téléviseurs, d'éoliennes.

La Chine remporte aussi d'autres médailles d'or, moins rutilantes: celle de champion des inégalités sociales avec 1363 milliardaires et 150 millions de personnes gagnant moins de 2$ par jour, l'an dernier; celle de premier pollueur de la planète; de grand négligent en matière de santé et sécurité au travail avec 187 accidents mortels par jour, selon les chiffres officiels.

Les dirigeants communistes savent bien que l'empire doit amorcer un virage, car les pressions sociales et environnementales sont intenables. Ils ont d'ailleurs commencé à agir, en décrétant des augmentations des salaires et des objectifs très ambitieux en matière de préservation de l'environnement.

Après n'avoir pas toujours respecté les règles de l'OMC, surtout en ce qui concerne la notion de réciprocité, les Chinois ont compris que leur influence internationale passe par des rapports plus étroits avec les pays émergents d'Afrique, d'Asie (sauf Japon) et d'Amérique latine. La Chine est déjà le premier investisseur étranger au Brésil, premier client de l'Arabie Saoudite, de l'Argentine et du Venezuela, premier partenaire commercial du Nigeria. «L'avenir ne se situe plus du côté des pays industrialisés, écrit Izraelewicz. Les dirigeants chinois, qui raisonnent sur de très longs horizons, en ont aujourd'hui l'intime conviction.»

La nouvelle confiance chinoise entraîne aussi une résurgence du nationalisme qui devient arrogant face à des entreprises occidentales. Jadis bienvenues pour leurs avantages technologiques, elles sont aujourd'hui copiées sans vergogne et exclues du marché chinois.

Cette arrogance nouvelle est mal accueillie par les voisins de la Chine, les 14 en particulier qui partagent une partie de leurs frontières avec elle. La décision récente de Pékin d'augmenter considérablement son budget militaire n'a d'ailleurs rien pour les rassurer.

La Chine a cependant encore d'immenses défis. Deuxième puissance économique du monde, elle est 100e pour son revenu par habitant, entre l'Albanie et le Salvador, rappelle l'auteur.

L'augmentation du niveau de vie passe par le développement de la consommation intérieure, des services et de l'innovation.

Pour inciter les Chinois à moins épargner, l'État devra rénover le filet de sécurité sociale, en lambeaux depuis l'abandon des politiques maoïstes. «Au lieu de financer la création de ces infrastructures sociales, l'épargne chinoise sert aujourd'hui à combler les déficits américain, grec ou espagnol, écrit Izraelewicz. Mme Li se serre la ceinture et partage, avec son enfant unique, son bol de riz pour qu'à Dallas, au Texas, Ms Johnson puisse s'acheter sa troisième voiture, un 4x4 à crédit.»

Cet excès d'épargne, c'est aussi une peur de l'avenir, alors que s'épuisent les réserves de main-d'oeuvre bon marché, que la population vieillit.

Si l'autoritarisme a très bien servi l'hypercapitalisme dans le décollage de l'économie chinoise, reste-t-il de mise dans la prochaine phase de croissance plus centrée sur la consommation?

Le Dragon chinois croit qu'il est possible de faire progresser le libéralisme économique sans étendre les libertés politiques. «Le débat n'est pas clos. Il met néanmoins l'animal mal à l'aise, de plus en plus mal à l'aise», affirme l'essayiste.

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L'arrogance chinoise. Erik Izraelewicz. Grasset, 2011, 249 pages.