Les gouvernements occidentaux sont pour la plupart surendettés alors qu'ils assistent, impuissants, à l'érosion de leur pouvoir fiscal qu'ils ont pourtant même encouragé

Comment rétablir l'autorité de l'État afin d'éviter une crise fiscale qui le menace dans son intégrité même, se demande Brigitte Alepin dans son dernier essai, La crise fiscale qui s'en vient.

«Les régimes d'imposition ont été attaqués par la mondialisation et par la défiscalisation des entreprises, par la popularité grandissante des paradis fiscaux et du commerce électronique, et par la multiplication des fondations de charité, écrit-elle. Chacun de ses facteurs suffirait à lui seul à ébranler les régimes d'imposition. Réunis, ils les poussent à la faillite.»

L'essayiste scrute minutieusement les amendements législatifs, les décisions des tribunaux, les comportements des très grandes entreprises ainsi que les grandes statistiques colligées par les organismes internationaux.

Son constat est sombre et inquiétant : l'État dans les économies avancées perd son pouvoir d'imposition, ce qui laisse toute la charge de ses responsabilités sur les épaules des contribuables, à l'exception notoire des très riches qui parviennent à échapper à l'emprise du fisc.

«La formule "moins d'impôt, moins de gouvernement" servirait davantage les intérêts des très riches que ceux de la classe moyenne», lance-t-elle d'entrée en jeu, en affirmant son parti pris pour l'équité fiscale qu'elle définit comme la répartition de la charge fiscale en fonction de la capacité de payer de chaque contribuable.

C'est ce principe même qui est attaqué depuis le triomphe du libéralisme, déplore-t-elle.

Elle s'en prend au courant idéologique selon lequel les entreprises devraient payer de moins en moins d'impôt au nom de l'avantage concurrentiel. Elles doivent payer leur juste part de l'utilisation des infrastructures publiques. Les multinationales contournent la difficulté en délocalisant, qui certaines activités, qui leur siège social, ou en multipliant les filiales.

«Les paradis fiscaux entraînent une déconnexion entre l'économie réelle et l'"économie comptable" des pays, qui s'accompagne de bizarreries statistiques», observe-t-elle. C'est ainsi que le premier importateur européen de bananes se trouve dans l'île anglo-normande de Jersey !

Elle s'en prend aussi au commerce électronique qui gruge les revenus que les États tirent des taxes à la consommation. Les grands centres commerciaux virtuels comme eBay ou Amazon sont hébergés dans des paradis fiscaux et réglementaires et ne paient pratiquement rien aux États dans lesquels ils font pourtant affaire. Quant aux clients, le fisc doit compter sur l'autocotisation, un sport assez peu populaire... Mme Alepin suggère aux États de retracer les consommateurs par leur adresse IP. «La concurrence déloyale qui s'installe entre commerçants traditionnels et cybercommerçants va se traduire par une baisse des revenus publics», prédit-elle.

C'est avec la même empathie qu'elle analyse la relation des fiducies et autres sociétés caritatives avec le fisc. Non seulement ne paient-elles aucun impôt, mais, en plus, les contribuables leur font le cadeau de n'avoir aucun droit de regard sur leurs activités. Elle s'en prend en particulier à certaines riches fondations, elle nomme la fondation Chagnon, qui imposent leur volonté à l'État. «Les fondations privées court-circuitent la démocratie, souligne-t-elle, parce qu'elles s'approprient un pan du pouvoir décisionnel» de l'État démocratique. En outre, rien ne garantit qu'elles sont administrées efficacement. En 2008, l'avoir des fondations canadiennes qui échappent au fisc s'élevait à 34 milliards de dollars.

Mme Allepin s'attaque enfin à la délicate question de la fiscalité verte, celle qui intervient pour favoriser les comportements et la production moins polluants. Elle s'attarde longuement au défi que cela pose pour le Canada où certaines provinces exploitent des ressources très lucratives mais polluantes comme les sables bitumineux. Elle rappelle que l'exploitation de cette source d'énergie sert avant tout les États-Unis. Il ne serait que justice que cela figure au bilan environnemental de notre voisin aussi.

Tout son ouvrage montre les responsabilités qui incombent aux hommes et femmes politiques, tant à l'échelle nationale qu'internationale. «C'est à eux de décider s'ils prennent leurs responsabilités pour imposer des solutions ou s'ils préfèrent démissionner devant les puissances de l'argent.»

Brigitte Alepin, La crise fiscale qui vient, VLB éditeur, 2011, 157 pages.