Le cours du pétrole a atteint un sommet inégalé depuis 2008, hier, ranimant le spectre qu'il n'entraîne le monde dans une nouvelle récession. Malgré tout, bien des experts estiment la reprise économique assez solide pour encaisser le choc. À condition que la crise qui secoue la Libye ne s'étende pas à d'autres pays producteurs.

Le baril de brut s'est brièvement échangé à près de 107$US, hier matin, avant de clore la séance à 105,44$US. On est encore loin du sommet historique de 147$US touché en juillet 2008, mais c'est beaucoup comparé aux 68$US que coûtait un baril en mai dernier.

Cette nouvelle poussée survient alors que la contestation du régime de Mouammar Kadhafi dégénère en une série d'affrontements armés en Libye. Ce pays méditerranéen produit 1,8% du pétrole au monde, mais alimente à lui seul 10% du marché européen.

«Le problème, ce n'est pas la Libye, résume l'économiste Yanick Desnoyers, de la Banque Nationale. Le problème, c'est de savoir s'il y aura une escalade qui s'étendra à d'autres pays pour faire perdurer le choc et faire en sorte que le prix du pétrole augmente davantage.»

Déjà, depuis quelques semaines, les automobilistes goûtent aux conséquences de la flambée de l'or noir. Le prix de l'essence a augmenté du tiers depuis le temps des Fêtes. Hier, le litre de sans-plomb a bondi à 1,36$ dans certains secteurs.

«Ce qui entraîne un ralentissement économique, c'est une hausse brutale qui change complètement les conditions du marché en peu de temps, explique Martin Coiteux, professeur au service d'enseignement des affaires internationales à HEC Montréal. C'est un peu ce qu'on vit à l'heure actuelle. La question, c'est de savoir si ça va continuer de monter à une vitesse très grande et à un niveau très élevé.»

Si la flambée des prix se poursuit, les consommateurs auront moins d'argent à dépenser, car leur voiture leur coûtera plus cher, souligne le professeur.

Et les banques centrales, surtout en Europe, seront tentées de hausser leurs taux d'intérêt pour juguler l'inflation. Tout cela va freiner la fragile relance économique.

Si la crise politique qui a déjà balayé la Tunisie, l'Égypte et la Libye devait s'étendre à un producteur majeur comme l'Arabie Saoudite, le prix du pétrole pourrait atteindre des sommets, estiment les experts. Un scénario qui aurait des conséquences graves.

Earl Sweet, économiste à BMO Marché des capitaux, souligne que la reprise aux États-Unis dépend largement des programmes de relance mis sur pied par le gouvernement. Elle demeure donc vulnérable aux chocs extérieurs comme une hausse inopinée des prix du pétrole.

Les ménages américains, souligne-t-il, sont déjà endettés jusqu'au cou et n'auraient pas les moyens d'absorber un choc majeur à la pompe. Les entreprises cesseraient d'embaucher. Et la légère embellie observée dans l'immobilier serait stoppée net.

Pire, le gouvernement américain n'aurait plus les moyens de financer un onéreux plan de relance, lui qui a mis en oeuvre des moyens sans précédent pour contrer la récession de 2008.

«L'économie canadienne suivrait de près celle des États-Unis dans la récession, à mesure que le prix des matières premières premières et, éventuellement, du pétrole retombent, et que les exportations diminuent», prévoit Earl Sweet.

Pas de panique

La hausse des cours du brut n'est certes pas une bonne nouvelle pour l'économie, convient Yanick Desnoyers, de la Banque Nationale. Mais, selon lui, il n'y a pas de quoi s'alarmer pour le moment. D'abord, parce que l'économie mondiale est en pleine croissance. Ensuite, parce que les derniers chiffres sur l'emploi aux États-Unis démontrent que la reprise est bien entamée.

Selon lui, le cours du pétrole devra grimper encore davantage, et rester élevé sur une période prolongée, pour affecter de manière significative le pouvoir d'achat des ménages.

«Ça se fait dans un contexte de forte croissance de l'économie mondiale, souligne M. Desnoyers. Avec le retournement du marché du travail et de la demande intérieure aux États-Unis, les exportations du Canada sont en hausse. Quand on additionne tous ces effets, il faudrait que le prix du pétrole atteigne 115$US ou 120$US le baril sur une base soutenue pour faire dérailler la reprise.»