Il a eu la piqûre de l'informatique grâce à une machine à écrire en 1963. Aujourd'hui, James Goodnight est à la tête de l'une des plus grandes entreprises de logiciels du monde - mais un peu méconnue du grand public, car elle n'est pas inscrite en Bourse et vend ses logiciels d'analyse statistique exclusivement aux entreprises. À 68 ans, dans un secteur peuplé de jeunes cracks de la techno, il fait figure de vieux sage. Un vieux sage résolument tourné vers l'avenir, et qui veut tirer avantage de l'iPad autant que de Twitter.

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Quand James Goodnight s'est initié à l'informatique, il ne publiait pas de photos sur Facebook, ne gazouillait pas sur Twitter et n'avait pas d'iPad dans les mains. C'était en 1963.

Son coup de foudre informatique, l'étudiant en mathématiques à l'Université North Carolina State l'a vécu grâce à une machine à écrire. «Je passais près de la bibliothèque et j'ai remarqué une machine à écrire qui tapait toute seule, dit-il en entrevue à La Presse Affaires. Je me posais des questions! J'ai réalisé qu'il y avait un programme qui lui disait quoi taper. Ça m'a intrigué et je me suis inscrit au seul cours d'informatique offert à l'Université.»

Un demi-siècle plus tard, James Goodnight, 68 ans, est l'un des plus grands informaticiens des États-Unis. Ou, à tout le moins, l'un des plus riches. Avec une fortune personnelle de 6,9 milliards US, le PDG de SAS - pour Statistical Analysis System - est au 35e rang des Américains les plus riches. Juste devant lui au classement de Forbes: Mark Zuckerberg, cofondateur de Facebook.

James Goodnight n'est pas le plus connu de ses collègues multimilliardaires. Contrairement à Facebook, SAS ne s'adresse pas au grand public, mais plutôt aux entreprises et aux gouvernements qui veulent analyser leurs données grâce à des logiciels d'information décisionnelle. Passeport Canada utilise notamment l'une de ses 50 000 solutions d'affaires pour gérer les demandes de passeport.

Autre raison de l'anonymat relatif de SAS: contrairement aux vedettes du secteur techno comme Google et Microsoft, l'entreprise n'est pas inscrite en Bourse. «Nous avons assez d'argent, nous aimons la liberté d'être une entreprise privée et nous n'avons pas à nous en faire avec tous les règlements de la SEC (Securities and Exchange Commission)», dit James Goodnight, qui possède deux tiers des actions de SAS.

La révolution de l'iPad

SAS vend aux entreprises et aux institutions des logiciels de statistiques et d'information décisionnelle, un domaine en constante évolution. Ces jours-ci, James Goodnight tente de rattraper le phénomène des tablettes électroniques. Selon lui, l'iPad, dont Apple lancera la deuxième version mercredi, va révolutionner l'analyse de données statistiques.

«Nous ne nous préoccupions pas trop des téléphones portables, car il n'y avait pas assez de place pour utiliser des applications complexes, mais l'iPad a tout changé, dit James Goodnight. Il y a plus d'espace de travail et un ordinateur assez puissant.»

SAS espère lancer son application iPad en juillet. «Nous voulons faire une application iPad pour permettre à nos clients de se connecter à leur réseau de données, dit James Goodnight. Ils pourront télécharger les résultats de nos analyses sur leur iPad.»

L'iPad n'est pas la seule nouveauté qui intéresse James Goodnight. Le site de microblogage Twitter lui sert de base de données pour ses formules mathématiques. «Nous analysons les commentaires sur les blogues et interceptons les tweets au sujet d'une marque ou d'une entreprise, dit-il. Si un produit déçoit la population, on peut en faire la preuve à l'entreprise et suggérer des améliorations.»

Facebook l'intéresse aussi, mais ce vieux routier du secteur techno avoue avoir de la difficulté à croire que le réseau social vaut 50 milliards, comme le pense Goldman Sachs. Facebook aurait généré des revenus de 1,5 milliard US l'an dernier, comparativement à 2,4 milliards US pour SAS, dont la valeur est établie à 10,3 milliards US selon Forbes. «Pouvez-vous me dire comment Facebook peut valoir 50 milliards si ses revenus ont été inférieurs aux nôtres l'an dernier? Cinquante milliards, ça fait environ 30 fois leurs revenus...»

En mode croissance, SAS n'a même pas remarqué la dernière récession américaine. En janvier 2009, le grand patron a lancé un message fort à ses employés: pas de mises à pied, peu importe le climat économique. Un élan de générosité et de compassion? «De toute façon, la plupart de nos projets durent deux ans, dit-il. Le temps qu'ils soient prêts, la récession sera terminée. De plus, nous avons vu une croissance de nos revenus et de nos profits.» En 2009, SAS a même battu un record d'entreprise. «J'ai seulement demandé à tout le monde de réduire les dépenses et elles ont augmenté de moins de 1%, dit-il. C'est la hausse annuelle la plus basse de notre histoire.»

Un sympathisant du Tea Party

Il n'y a pas qu'à ses employés que James Goodnight demande de sabrer les dépenses.

Le PDG de SAS veut que le président américain Barack Obama mette fin au déficit du gouvernement fédéral, estimé à 1101 milliards US en 2011. De 2012 à 2021, la Maison-Blanche prévoit ajouter 7205 milliards US à la dette américaine. «Le gouvernement doit équilibrer le budget aussi vite que possible, dit-il. On dépense l'argent qu'on emprunte. Si on n'arrête pas le déficit, on sera obligé d'imprimer de l'argent, ce qui dévaluera notre devise.»

En raison de la situation précaire des finances publiques, James Goodnight est sympathique au mouvement du Tea Party. «Les gens veulent que le gouvernement arrête de dépenser, d'emprunter et d'endetter le pays, dit-il. Tellement de gens dans le Parti républicain ont mis de l'importance sur des enjeux religieux. Le Tea Party ignore tout ça et se concentre sur un enjeu: avoir un gouvernement plus petit qui arrête de trop dépenser. Le gouvernement devrait être obligé d'équilibrer son budget.»

S'il «aime bien» Barack Obama sur le plan personnel, James Goodnight trouve le président trop à gauche. «Il a tenté de socialiser l'Amérique durant ses deux premières années à la Maison-Blanche, dit-il. Depuis les élections de novembre, il est revenu au centre. Les Américains ont parlé et ils ne veulent pas de socialisme.»

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Jeunes scientifiques recherchés

Le taux de chômage est de 9% aux États-Unis. Pourtant, James Goodnight cherche des employés. «Nous n'avons pas assez de jeunes qui s'intéressent aux sciences, à la techno et aux mathématiques, dit-il. Trop de jeunes vont en sciences humaines et en arts. Ce sont les emplois en sciences qui ont de l'avenir. Il y en a 3 millions de disponibles actuellement aux États-Unis, mais on manque de travailleurs qualifiés.» Autre fléau rongeant son pays: le décrochage scolaire. «Nous avons un taux de décrochage de 30% au secondaire, dit-il. Il n'y a pas de bons emplois pour ces gens-là, parce qu'il n'y a déjà pas assez de bons emplois pour les gens qui ont fini leur secondaire.»

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Une équipe de la LNH? Non merci!

La LNH croit au succès du hockey professionnel dans le sud des États-Unis. Pas James Goodnight, homme le plus riche de la Caroline-du-Nord. Avec une fortune de 6,9 milliards US, il pourrait sauver les Hurricanes, qui se cherchent un copropriétaire depuis mai dernier. Le propriétaire Peter Karmanos cherche un nouveau partenaire pour acheter la moitié de l'équipe, son ancien associé étant décédé en 2008. «On me l'a offert, mais je ne suis pas intéressé, dit-il. Pete Karmanos essaie de trouver des investisseurs locaux, mais j'ai l'intention de lui résister. Pourquoi je voudrais payer 100 millions de dollars pour perdre de l'argent? Ça n'a pas de sens...»

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À propos de James Goodnight

> Il a interrompu sa maîtrise pendant un an pour travailler sur le programme spatial Apollo.

> Son premier client: son alma mater, l'Université North Carolina State, qui voulait un logiciel pour analyser ses recherches en agriculture.

> Il a fondé officiellement SAS en 1976 avec trois associés, dont John Sall, qui détient toujours le tiers des actions.

> Aujourd'hui, SAS a plus de 50 000 clients dans 127 pays et compte 11 546 employés, dont 4659 à son siège social en Caroline-du-Nord et 265 au Canada.