Pierre-Karl Péladeau a-t-il créé le «perfect lock-out» à son avantage? C'est ce que plusieurs croient, observait ce matin le président de la commission parlementaire spéciale, le député libéral François Ouimet.

M. Ouimet s'est demandé si l'agence QMI était un «stratagème» créé pour remplacer des syndiqués qui coûtent plus cher et contourner l'esprit de la loi anti-briseur de grève. Et surtout, si le patron de Quebecor a intérêt à régler un lock-out, alors qu'il épargne en masse salariale tout en maintenant le tirage de son journal.

Le patron de Quebecor a dû répondre aux questions polies et aux critiques plutôt modérées des membres de la commission, ce matin. Il a avoué que le lock-out était un geste «violent» mais «nécessaire».

D'un ton direct et frondeur, M. Péladeau a commencé sa présentation en déplorant que la commission «s'immisce dans un conflit privé». Le lock-out s'inscrit dans le contexte des bouleversements que traversent les médias, et plus particulièrement la presse écrite. Ce conflit ne devrait donc pas servir prétexte pour amender  le Code du travail, a-t-il plaidé. Et si on l'amende, on ne devrait pas seulement changer la disposition anti-briseur de grève.

Selon celle-ci, seuls les cadres engagés avant un lock-out peuvent remplacer les syndiqués. Il est interdit de permettre à un tiers de venir travailler dans le local de travail pour remplacer les lock-outés. C'est ce qu'on appelle la notion d'établissement. Une notion élaborée en 1977, bien avant internet, la téléphonie cellulaire et le télétravail.

Selon le syndicat des travailleurs de l'information du Journal de Montréal (STIJM), Quebecor contourne aujourd'hui l'esprit de cette loi. Son président Raynald Leblanc indique que le Journal fait faire son infographie par la boîte Côté Tonic. Il affirme que la direction du quotidien aide même à gérer l'horaire du personnel de la boîte. Le travail fait par Côté Tonic représenterait celui de 22 employés syndiqués. Le Journal de Montréal ferait maintenant faire sa comptabilité à Saint-Jérôme, sa page «5 minutes» à Paris et sa révision linguistique à Québec et Blainville, ajoute M. Leblanc. Cela prouve selon lui que la notion d' «établissement» de la loi anti-briseur de grève est devenue obsolète.

Les parlementaires ont d'ailleurs rappelé à M. Péladeau qu'il s'était engagé à maintenir «l'étanchéité» des salles de nouvelle lors de l'acquisition de Vidéotron et TVA.

Comment changer la situation? Le syndicat propose de tout simplement «interdire le travail d'un tiers».

M. Péladeau dit avoir «suivi les règles du jeu» avoir respecté la loi. Et si on acceptait la suggestion du syndicat, cela créerait un déséquilibre encore plus marqué, selon lui, en faveur des syndicats

Le rôle de QMI

La place de l'agence QMI a beaucoup augmenté dans le Journal de Montréal depuis le conflit. Elle sert maintenant à remplir environ 40% du contenu, selon une évaluation d'Influence Communication.

Raynald Leblanc croit que Quebecor s'est servi du conflit de travail pour «tester» un nouveau modèle d'affaires. Le lock-out était «planifié de longue date, organisé pour une seule raison, (...) pour mettre en place un plan d'affaires», croit-il.

Le lock-out serait devenu la «norme» chez Quebecor. Dans les dernières années, plus de 800 000 jours de travail auraient été perdus à cause de lock-out dans les différentes entreprises de Quebecor.

Le député péquiste Stéphane Bergeron a calculé que 55% des journées de travail perdues à cause d'un lock-out l'année dernière venaient des entreprises de Quebecor.

M. Péladeau s'est dit supris par ce chiffre, qu'il ne connaissait pas.

Le patron de Quebecor a refusé de répondre aux questions des journalistes avant ou après la commission parlementaire.

Des remords

Peu avant le conflit, M. Leblanc assurait que le fonds de grève permettrait aux syndiqués de durer au moins deux ans. Des observateurs estimaient que cette déclaration a nui aux négociations.

Il regrette maintenant cette déclaration. «(Elle) n'aurait jamais dû être faite», a-t-il avoué. Il avait voulu «rassurer (son) monde».

M. Leblanc dit ne pas être venu en commission parlementaire pour «négocier», «laver (son) linge sale en famille» ou pour «casser du sucre sur le dos de (ses) patrons». Le syndicat veut montrer «lacunes» de la loi.

Khadir refusé, ministre absente

La commission parlementaire a perdu ce matin son parlementaire le plus pugnace. On a refusé à Amir Khadir d'y participer. Il peut néanmoins rester dans la pièce et assister aux échanges.

M. Khadir n'est pas membre de la commission de l'économie et du travail. Il voulait y participer, entre autres car le quotidien est situé dans sa circonscription de Mercier. Pour y participer, le représentant de Québec solidaire avait besoin d'un consensus des députés membres de la commission. Les libéraux puis les péquistes s'y sont opposés. Ils ont discrètement manifesté leur opposition au président de la commission, devant une salle remplie, peu avant que témoignent les responsables du STIJM. «En deux ans de présence à l'Assemblée nationale, c'est la première fois que je me vois refuser la parole en commission parlementaire», s'est-il plaint.

On s'attendait à ce que M. Khadir fasse un interrogatoire serré au patron de Quebecor, Pierre-Karl Péladeau, qui parlera ce matin à 11h. C'est M. Khadir qui avait posé les questions les plus difficiles et critiques à Henri-Paul Rousseau lors de la commission parlementaire qui examinait les pertes de la Caisse de dépôt et placement du Québec.

La ministre du Travail, Lise Thériault, n'a pas demandé de participer à la commission, ce qu'elle aurait pu faire. Le PQ s'est dit «très déçu» par son absence. Selon le député libéral Jean D'Amour, elle s'est absentée par «souci d'objectivité».