Il y a de ces films qui sont captivants même si on connaît la fin à l'avance. Ce sera le cas des audiences du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) sur l'achat de CTVglobemedia par Bell, qui commencent aujourd'hui. Personne ne doute que la transaction sera approuvée, mais l'organisme réglementaire devra trancher plusieurs questions cruciales pour l'avenir du petit écran au Canada.

> Suivez Vincent Brousseau-Pouliot sur Twitter

La question à 220 millions de dollars

Quand une entreprise achète un réseau de télé, elle paie 10% du prix d'achat en «bénéfices tangibles» pour des projets spéciaux visant à améliorer le petit écran. C'est le prix demandé par le CRTC pour le transfert des licences, un peu comme une ville demande des droits de mutation à un nouveau propriétaire foncier. Bell veut être exempté de payer des bénéfices tangibles, car l'entreprise en a déjà payé pour 230 millions lors de l'acquisition de CTVglobemedia en 2000 et a toujours conservé au moins 15% des actions depuis. Si Bell obtient une exemption, ce serait un précédent important. Bell a néanmoins soumis au CRTC un plan de 220 millions fortement critiqué par ses concurrents. Selon Quebecor, le plan de Bell inclurait des dépenses qui auraient été faites de toute façon par CTVglobemedia comme du contenu multiplateforme (40 millions), de la conversion de services en haute définition (25 millions) et des investissements en programmation locale (27 millions).

Go Habs Go!

Quebecor revient à la charge et demande au CRTC de casser le monopole tricolore de RDS, qui diffuse tous les matchs du Canadien de Montréal en français depuis la saison 2004-2005. Bell est propriétaire minoritaire du Canadien depuis 2009. En février 2010, le CRTC a déjà rejeté la demande de Quebecor, qui détient une licence pour une chaîne spécialisée de sports (TVA Sports), estimant «préférable de s'en remettre aux forces du marché». Cette pratique ne semble pas non plus déranger les autorités réglementaires américaines: le câblodistributeur Comcast, propriétaire des Flyers, détient les droits exclusifs des matchs des Flyers pour sa chaîne Comcast SportsNet. Chose certaine, le président du CRTC, Konrad von Finckenstein, s'y connaît en matière de concurrence: il a été président du Bureau de la concurrence de 1997 à 2003.

La convergence avec un grand C

BCE-CTV deviendra l'entreprise de communications numéro un au pays, avec 35% des revenus de l'industrie. Son plus proche concurrent, Rogers, n'a que 20% des revenus. Des concurrents comme Cogeco Cable font valoir que le géant BCE-CTV sera encore plus fort au Canada que l'alliance Comcast-NBC ne l'est aux États-Unis. Cogeco Câble a notamment peur que Bell-CTV augmente le prix de ses chaînes de télé de façon à étouffer ses concurrents. Parmi les solutions proposées: améliorer le régime de médiation du CRTC en imposant le statu quo durant les négociations, forcer Bell-CTV à dévoiler au CRTC ses ententes commerciales internes et interdire à CTV d'obtenir d'éventuelles redevances sur les revenus du câble. Ou le CRTC statuera immédiatement sur le cas de Bell-CTV, ou il attendra les audiences sur l'intégration verticale des conglomérats de télécoms en juin prochain pour régler ces questions.

Exclusif sur votre téléphone portable

La diffusion d'émissions sur le téléphone portable ne fait que commencer, mais les entreprises se méfient déjà des plans de Bell-CTV. Cogeco Câble cite l'exemple de la série de téléréalité Nos Canadiens, diffusée en exclusivité pour les abonnés de Bell (télé satellite ou téléphonie) l'automne dernier, puis au petit écran sur V et RDS à partir de cette semaine. Le CRTC interdira-t-il ces pratiques? En matière de vidéo sur demande, le CRTC vient justement de taper sur les doigts de Quebecor qui réservait les émissions de TVA aux clients de Vidéotron.

Le passeport du patron

La question - fort délicate - n'a pas été abordée dans les mémoires des principaux concurrents de Bell, mais elle demeure: un Américain peut-il être le principal dirigeant d'une chaîne de télé canadienne? La réglementation dit clairement que non. Bell a pourtant désigné un Américain de 46 ans, Kevin Crull, comme éventuel président de CTVglobemedia. M. Crull, ancien cadre chez AT&T, travaille pour BCE au Canada depuis 2005. Il doit obtenir sa citoyenneté canadienne d'ici la fin de l'année 2011.