Le mythe du partage de connaissances: si les employés utilisent le bon outil technologique pour échanger leurs expériences, leur travail sera plus productif et efficace.

Prenons l'exemple d'une société typique, PME ou grande entreprise, qui veut profiter des avantages vantés de la gestion de connaissances. La direction de cette société décide d'introduire un outil de travail collaboratif (SharePoint, Lotus Notes, intranet, etc.) afin de rendre plus fluide le partage de connaissances. Cet outil permet d'échanger des informations et de rejoindre facilement les experts. Quelques mois après l'implantation de cet outil, les bénéfices sont maigres, car l'outil est peu utilisé. Confiante des bénéfices possibles introduits par la gestion de connaissances, la direction récidive et choisit d'implanter un autre outil de travail collaboratif ayant encore plus de fonctionnalités intéressantes pour les employés. Les mois passent, mais l'adhésion des utilisateurs demeure marginale.

D'autres exemples donnent toutefois espoir. L'entreprise Apple est bien connue pour ses ordinateurs Mac et pour avoir redéfini les appareils mobiles (iPhone, iPod, iPad, etc.). Dans la communauté des knowledge organizations, Apple est l'une des organisations les plus admirées. Ce n'est pas l'utilisation d'une technologie en particulier qui lui a valu ce titre, mais bien l'ensemble des pratiques organisationnelles qui soutiennent la stratégie de la gestion de connaissances: le soutien de la haute direction, le développement et la valorisation du capital intellectuel, la création d'une culture axée sur la réutilisation de la connaissance organisationnelle et la création d'une infrastructure technologique facilitant la collaboration et le travail collaboratif.

Quatre facteurs importants

L'utilisation des technologies peut faciliter ou soutenir le partage de connaissances, mais elle ne peut pas, par elle-même, augmenter la performance organisationnelle. C'est en fait la synergie entre quatre facteurs qui a un impact sur la performance organisationnelle. Ces facteurs sont: l'organisation, les individus, la connaissance et la technologie.

- L'organisation est responsable de créer un environnement propice au partage, caractérisé par des valeurs organisationnelles compatibles avec les pratiques de partage. Cet environnement définit clairement les pratiques de partage, puis valorise et récompense l'effort de partager.

- Le facteur humain n'est pas à négliger. Sur la base de leurs expériences et de leurs habiletés, les individus forment des perceptions, positives ou négatives, par rapport aux pratiques de partage, par rapport aux outils technologiques soutenant le partage et par rapport aux caractéristiques de la connaissance à partager. Ces perceptions influencent et guident l'individu dans ses actions.

- La connaissance à partager présente certaines caractéristiques qui ont un impact sur le processus de partage ou l'utilité du partage. Par exemple, plus la connaissance est tacite, plus elle est difficile à partager. Plus la connaissance est volatile et sensible au temps, plus le partage devient inutile.

- La technologie joue un rôle important en offrant un moyen de communication entre les individus. Le choix de l'outil technologique est ardu et demande une mûre réflexion, étant donné la multitude de produits offerts actuellement sur le marché: outils de collaboration (blogue, wiki, clavardage), outils de travail collaboratif, répertoire de connaissances, cartes d'expertise, cartes conceptuelles, outils de gestion du contenu, outils de gestion de courriels, systèmes experts, etc.

Des entreprises comme Apple, IBM, Hewlett-Packard, Microsoft ou Google ont démontré qu'une synergie entre les quatre facteurs est possible, mais la grande majorité des entreprises n'y arrive pas. Il n'y a pas de recette miracle; c'est à chaque organisation de déterminer ses besoins en matière de gestion de connaissances à partir de ses objectifs stratégiques. Ensuite, l'organisation doit investir temps, argent et efforts dans les quatre facteurs afin de combler ses besoins.

Approche globale

L'approche se doit d'être holistique et ce serait une erreur de se concentrer sur un facteur, par exemple la technologie, au détriment des autres. Une bonne stratégie de gestion de la connaissance nécessite un ensemble d'efforts coordonnés qui visent plusieurs sous-systèmes organisationnels et qui prennent en compte l'interaction entre ces facteurs.

La synergie entre ces quatre facteurs est donc un doux équilibre qui demande un effort soutenu pour être maintenu. À titre d'exemple, l'équilibre pourrait être brisé par un changement technologique ou par une évolution divergente de la perception des utilisateurs. Ce manque d'équilibre pourrait avoir des conséquences diverses, par exemple un outil technologique serait alors utilisé différemment selon les individus et les pratiques organisationnelles seraient appliquées inégalement, rendant le partage de la connaissance nettement moins efficace. Par conséquent, l'échec d'une stratégie de partage de connaissances n'est pas nécessairement dû à la technologie en soi, mais au manque de synergie entre les quatre facteurs. L'évolution et la dynamique de ces facteurs (et de leurs interactions) doivent être surveillées de près pour s'assurer de jouir de leur synergie et obtenir les bénéfices escomptés.

Alina Maria Dulipovici est membre du service de l'enseignement des technologies de l'information de HEC Montréal. Pour joindre notre collaboratrice: alina-maria.dulipovici@hec.ca