L'année où les transactions ratées ont fait plus de bruit que celles qui ont réussi. L'année où les matières premières ont eu plus de sex-appeal que les actions. L'année des désastres écologiques, réels et appréhendés. L'année de la convergence 2.0. L'année iPad.

L'année du retour à une certaine normalité ? Mais peut-on encore parler de normalité, quand l'imprévisibilité et la brutalité des revirements sont le nouveau quotidien ?

A alimentation Couche-Tard

En tentant d'acquérir Casey's General Stores, l'entreprise lavalloise a essuyé un rare échec. Brusqué, ce détaillant de l'Iowa a tout fait pour se défendre. Rachat d'actions assorti d'une pilule empoisonnée. Mirage d'une offre de 7-Eleven. «À la fin, on ne peut pas forcer des gens à accepter ce dont ils ne veulent pas», a philosophé Raymond Paré, chef de la direction financière, en tournant la page. Ce feuilleton de six mois a coûté 7 millions US. Un pincement qui n'a pas empêché Couche-Tard de relever son dividende.

B BP PLC

BP aimait se décrire comme une pétrolière soucieuse de l'environnement, «Beyond Petroleum». Mais cette image a volé en éclats avec l'explosion en avril de la plate-forme Deepwater Horizon. Après avoir laissé fuir 5 millions de barils de pétrole dans le Golfe du Mexique, la brèche a été colmatée le 15 juillet. BP a tassé Tony «I'd like my life back» Hayward, lui préférant un PDG américain. Malgré tout, la pétrolière britannique restera engluée dans les recours judiciaires pendant des années. Il en coûtera des dizaines de milliards pour nettoyer et dédommager les victimes du plus grand déversement accidentel de l'histoire.

C Convergence

2010 a été marquée par le grand retour de la convergence. Shaw Communications a acquis le réseau télé Global et les chaînes spécialisées de Canwest Global Communications. Le câblodistributeur américain Comcast finalise l'achat de NBC Universal. Mais la consécration est venue avec le rachat du diffuseur CTV proposé par Bell Canada, une volte-face de 3 milliards signée George Cope. C'est Jean Monty, cet ex-PDG dont la stratégie avait été répudiée, qui savoure l'instant.

D Détroit

Détroit redémarre, mais sa relance est à trois vitesses. Seul constructeur n'ayant pas fait appel aux gouvernements, Ford file devant. Avec Alan Mulally comme pilote, Ford affiche cinq trimestres consécutifs de profits et une rentabilité record. Sa restructuration achevée, General Motors a aussi renoué avec les bénéfices. En novembre, GM est revenu en Bourse, récoltant 23,1 milliards US, un premier appel public à l'épargne d'une taille inégalée. Les gouvernements nord-américains en ont profité pour réduire leurs participations. Mais il faudra que l'action de GM grimpe à 55$ pour que Washington et Ottawa récupèrent leur mise. Quant à Chrysler, pilotée par Fiat bien que le syndicat des travailleurs de l'auto reste son premier actionnaire, les paiements d'intérêt sur sa dette freinent sa relance.

E Egrifta

La Food and Drug Administration a approuvé la commercialisation aux États-Unis d'Egrifta, le médicament-vedette de Theratechnologies. C'est la fin d'un marathon pour cette biotech montréalaise qui y a investi 200 millions et 15 années d'efforts. Son président, Yves Rosconi, en a profité pour passer le relais à John-Michel Huss, qui assurera l'avenir.



F Facebook

Avec 550 millions de membres, ce réseau social vient de lancer son service de communications. Si Facebook Messages s'impose - et ce n'est pas acquis vu les craintes quant au respect de la vie privée -, Facebook pourrait tasser les grands portails (Google, Yahoo!, MSN) et accroître sa domination. Quoi souhaiter de plus à Mark Zuckerberg, ce multimilliardaire de 26 ans qui, après fait l'objet d'un film, est la personnalité de l'année de la revue Time ?

G Gaz de schiste

Le sujet le plus explosif de 2010. Sa crédibilité minée par sa proximité avec l'industrie, le gouvernement a refusé d'imposer un moratoire sur l'exploration gazière. Moratoire qui, au demeurant, n'aurait pas retiré les permis déjà consentis. Québec a plutôt commandé une enquête au Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) avec une échéance serrée. Lors d'audiences houleuses, le gaz de shale a mérité son surnom de gaz de schisme. Le rapport du BAPE sur le bon voisinage, la sécurité, l'environnement et le «respect du développement durable» (un fourre-tout qui permettrait d'aborder par la bande les faibles redevances de 12,5%) est attendu le 28 février.

H Harpon

Les banques canadiennes ont fait démentir ceux qui critiquaient leur lenteur à saisir les occasions aux États-Unis. Après avoir attendu que la poussière retombe sur le secteur financier américain, en ruine, elles ont sorti leur harpon. La Banque TD a ciblé Chrysler Financial, une acquisition de 6,3 milliards US. La Banque de Montréal a offert 4,1 milliards US pour la première banque du Wisconsin.

I iPad

Le bidule de l'année. Avant les emplettes de Noël, 7,5 millions d'iPad avaient déjà trouvé preneur. L'appareil est en voie de redéfinir l'édition, de la même façon que l'iPod a révolutionné l'industrie de la musique. Apple a même renversé les rôles, avec une capitalisation boursière qui surpasse celle de son vieux rival Microsoft. Qui l'eût cru ?

J Jacob

Le détaillant Jacob, dont l'enseigne est omniprésente dans les centres commerciaux du Québec, s'est mis à l'abri de ses créanciers en novembre. Largué par la Banque Nationale du Canada, le fondateur, Joseph Basmaji, se cherche un nouveau partenaire financier. À défaut, certains analystes évoquent un rachat par le groupe montréalais Reitmans.

K Kerviel

Le ciel est tombé sur la tête de l'ex-trader Jérôme Kerviel, condamné à une peine de trois ans de prison assortie d'une amende de 4,9 milliards d'euros. Avec son salaire de consultant en technologies, ce Français de 33 ans mettra 177 000 années à rembourser cette somme qui équivaut au PIB de Monaco! Cette amende excessive jumelée à l'exonération complète de la Société Générale ont suscité un vent de sympathie pour Kerviel, ce antihéros qui fait figure de bouc émissaire.

L Laura Secord

Après avoir connu trois propriétaires étrangers, la chaîne Laura Secord est revenue au Canada. Jean et Jacques Leclerc, de Québec, l'ont rachetée en février. Ces deux frères de la famille des Biscuits Leclerc connaissent le chocolat. Ils exploitent la chocolaterie Nutriart, un grossiste. Mais ils n'ont aucune expérience dans le commerce de détail. Les Leclerc doivent chapeauter 128 boutiques et un millier d'employés. Tout en rajeunissant une marque aussi célèbre que fanée. Grosse bouchée.

M Métro de Montréal

Si, si, les Montréalais auront leurs nouvelles voitures de métro. Après cinq années de péripéties qui ont fait le bonheur des avocats. Espérant remporter les élections dans l'ancien comté de Claude Béchard, le premier ministre Jean Charest a attribué le contrat au tandem Bombardier-Alstom sans appel d'offres. Même si les travailleurs de La Pocatière auront du travail, les libéraux ont perdu la circonscription de Kamouraska-Témiscouata. Quant aux contribuables, ils peuvent oublier les économies que le constructeur espagnol CAF leur faisait miroiter. L'urgence a bon dos.

Photo AP

Le fondateur de Facebook Mark Zuckerberg.

N Nouveau départ

Après une restructuration de 20 mois, AbitibiBowater repart à neuf. Dette allégée, retour en Bourse, nouveau PDG (Richard Garneau). Mais cette seconde vie a démarré dans la douleur. Le producteur de papier journal a licencié 4000 travailleurs, portant à 7000 les salariés remerciés depuis la fusion de 2007. La moitié de ces emplois se trouvaient au Québec, où l'entreprise a fermé neuf usines en trois ans. Dans le contexte, les primes de 6 millions US et les options d'achat d'actions (8,5% des titres !) attribuées aux dirigeants ont choqué. Surtout que les indemnités de départ d'employés, assimilées aux créances ordinaires, ont été payées au rabais.

O Ogilvy Renault

Le vénérable cabinet montréalais apparaît sous la lettre «O» pour la dernière fois. Norton Rose sera son nom lorsqu'il s'unira formellement à cette firme de Londres. Le groupe comptera 2500 avocats dans 38 bureaux à travers le monde. S'il est peu surprenant que la consolidation dans les services professionnels gagne le monde juridique, il faudra voir si l'équipe d'Ogilvy conserve son autonomie. Et si ses associés lui resteront fidèles.

P PotashCorp

Le feuilleton de l'année. Dévoilée en août, l'offre d'achat hostile de BHP Billiton sur le premier producteur de potasse a suscité une levée de boucliers en Saskatchewan. Néanmoins, personne ne pensait que les conservateurs pileraient sur leurs principes et s'opposeraient à cette transaction de 39 milliards US. Le ministre de l'Industrie, Tony Clement, a donc surpris le pays en concluant que l'offre de BHP ne représente «vraisemblablement pas un avantage net pour le Canada». Tony Clement s'est défendu d'avoir été influencé par des considérations électorales; les conservateurs auraient pu perdre la moitié de leurs 13 députés en Saskatchewan. Mais personne ne le croit.

Q Quad/Graphics

Quad/Graphics a racheté les anciennes imprimeries de Quebecor, rebaptisées World Color Press depuis leur largage par les Péladeau. L'arrivée de cet imprimeur du Wisconsin, propriété de la famille Quadracci, a surpris ceux qui attendaient une offre du géant américain R.R. Donnelley & Sons. Triste fin pour cet imprimeur qui faisait jadis la gloire du Québec.

R Redevances

Dans l'une des décisions les plus attendues - et contestées - de son histoire, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) a redéfini les règles de l'industrie de la télé. Les chaînes généralistes privées ont finalement obtenu des redevances en échange de leur signal télé, au même titre que les chaînes spécialisées dont elles jalousent les profits. Exclu à titre de diffuseur public, Radio-Canada broie du noir. Les diffuseurs privés devront toutefois s'entendre avec les câblodistributeurs et les télédistributeurs sur le montant desdites redevances. De belles chicanes sont en vue, chicanes dont le CRTC se lave les mains. Au final, c'est le consommateur qui paiera la note. À moins que la Cour fédérale d'appel conclue que le CRTC a outrepassé ses pouvoirs en imposant un cadre de négociations à l'industrie.

S Société générale de financement

L'une des grandes disparues de 2010. Cette institution de la Révolution tranquille qui perdait de l'argent a été intégrée de force dans Investissement Québec. Son grand patron, Pierre Shedleur, n'a pas digéré cette décision du ministre Clément Gignac. Amer de ne pas avoir été choisi pour présider ce guichet unique pour entreprises, il a à toutes fins utiles claqué la porte en critiquant ouvertement le gouvernement.

T Toyota

Tapis mal fixés qui entravent les pédales, accélérations soudaines, freins défectueux... Le début de 2010 a été pénible pour le premier constructeur mondial, qui a été pris en défaut sur ce qui avait toujours fait sa force: sa fiabilité. Combien de voitures doivent être rappelées avant qu'un constructeur ne présente des excuses par la voix de son PDG? Comptez 8 millions de véhicules pour Akio Toyoda, l'arrière petit-fils de Sakichi Toyoda, l'inventeur à l'origine de Toyota. Un dérapage de production doublé d'un fiasco de relations publiques.

U Union européenne

L'Union européenne est à couteaux tirés, alors que les difficultés de la Grèce, du Portugal, de l'Irlande et de l'Espagne, qui croulent sous leurs dettes publiques, menacent de faire éclater cet espace économique et sa monnaie unique. Les sauvetages de la Grèce (110 milliards d'euros) et de l'Irlande (85 milliards d'euros) n'ont pas complètement calmé les esprits sur les marchés, les taux de leurs obligations demeurant élevés. Tandis que les Grecs se rebiffent contre les mesures d'austérité, les Allemands, qui exportent leurs produits partout, se demandent jusqu'à quand ils vont réparer les amphores cassées.

V Vidéotron

Vous aviez parié sur voyou, l'épithète le plus disséqué de 2010. Mais c'est Vidéotron qui retient l'attention. Et il n'y a aucun lien à établir entre les deux, j'insiste ! Dix ans après son rachat par Quebecor, Vidéotron a lancé son service sans fil, la pièce manquante à son arsenal de services de communications. On ignore encore le succès de cette offensive, qui sera limitée au départ par la durée des contrats d'abonnement. Mais les consommateurs espèrent une vive concurrence qui abaissera le prix des forfaits, élevés au Canada.

W Williams, Danny de son petit nom

Le premier ministre de Terre-Neuve a quitté la politique au faîte de la popularité qu'il a construite en attaquant le Québec et tous ceux qui s'opposaient à ses volontés. Impossible de s'entendre avec Hydro-Québec ? Qu'à cela ne tienne, on va contourner la province pour acheminer l'électricité du Bas-Churchill aux États-Unis par câbles sous-marins ! Grâce à ses gisements offshore, Terre-Neuve a pris son membership au club des provinces riches. Quoi qu'on pense de Danny Williams, il s'agit d'une ascension remarquable.

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X Xénophobie

La peur de l'étranger et la volonté de redresser l'économie se sont manifestées avec des échanges de plus en plus virulents sur les politiques monétaires des grandes puissances. Le Congrès américain a menacé d'imposer des tarifs punitifs à la Chine, qui maintient le yuan à un cours artificiellement déprécié, ce qui favorise ses exportations. Pendant ce temps, les mesures d'assouplissement quantitatif prises par la Réserve fédérale ont ulcéré les partenaires commerciaux des États-Unis, qui les ont vues comme une façon détournée de déprécier le billet vert. Le spectre d'une guerre des devises a hanté la rencontre du G20 en novembre. Les pays ont finalement convenu de limiter les déséquilibres (déficits et surplus du compte courant) dans leurs échanges commerciaux. Les décisions difficiles sur le comment ont (sans surprise) été pelletées en avant.

Y Yes we can't

Un président américain ligoté par un Congrès qui lui est plus hostile, avec une majorité républicaine à la Chambre des représentants et une influence grandissante du mouvement Tea Party, qui cherche à réduire le gouvernement à sa plus simple expression. C'est l'image qui se dégageait au lendemain des élections de mi-mandat qui ont giflé les démocrates. Les réalisations de Barack Obama en décembre (abrogation de la loi sur le tabou gai, ratification du traité de désarmement nucléaire, compromis fiscal avec les républicains) ont toutefois ravivé les espoirs. Reste à voir ce qui restera de la réforme de la santé, pièce maîtresse de l'administration Obama, au terme de la prochaine session parlementaire...

Z Zénith

Or, cuivre, palladium, mais aussi coton, café et sucre : plusieurs métaux, matières premières et produits agricoles ont vogué de sommet en sommet cette année. L'insécurité des investisseurs, la demande insatiable de la Chine et les caprices de la météo ont fait de 2010 l'année des «commodities». L'or à 3000 $US l'once ? On hésite à traiter cette prédiction de farfelue.

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