Les banquiers centraux ont déployé beaucoup d'énergie et fait preuve de concertation exceptionnelle pour sortir l'économie mondialisée de la crise financière, puis de la récession. Aujourd'hui, ils peinent à normaliser les taux d'intérêt, par peur de faire rechuter en récession leurs économies en fragile reprise ou d'affaiblir davantage leur système financier aux pieds d'argile. En Chine, ce sont plutôt les difficultés de contenir la surchauffe qui posent un défi grandissant puisque les autorités monétaires ne sont pas complètement indépendantes du pouvoir politique.

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La Banque du Canada paraît coincée. Elle a interrompu la normalisation de son taux directeur en septembre quand l'économie a montré des signes d'essoufflement et quand la Réserve fédérale aux États-Unis a multiplié les indications d'une nouvelle ronde de détente quantitative, lancée le 3 novembre.

Poursuivre le resserrement monétaire, c'était renforcer le huard face au billet vert alors que les exportateurs canadiens perdent des parts de marché aux États-Unis.

«Il me semble assez clair que la Banque centrale n'est pas à l'aise avec un taux directeur à 1,00%, particulièrement dans le contexte d'un appétit toujours vorace de la part des ménages canadiens pour le crédit», estime Carlos Leitao de la Banque Laurentienne.

Elle doit donc poursuivre ce qu'elle a amorcé en juin, mais les conditions ne seront pas réunies de sitôt. Elles pourraient l'être dès avril, corrige Craig Wright de RBC Groupe financier, pas avant la fin de l'été, juge plutôt Warren Jestin de Groupe Banque Scotia.

Entre les deux visions, il existe un écart de perception sur les pressions inflationnistes et le rythme de croissance que le Canada vivra l'an prochain.

En novembre, le taux d'inflation était de 2,0%, en plein sur la cible de la Banque. Si on exclut l'effet de l'entrée en vigueur de la taxe de vente harmonisée en Ontario et en Colombie-Britannique le 1er juillet, il faut plutôt parler de 1,3%, ce qui ne reflète pas beaucoup de pressions sur les prix, hormis celui de l'essence.

Il existe aussi une grande incertitude sur l'avenir du crédit dans la zone euro, et par effet de contrepartie partout dans le monde, qui oblige les banquiers centraux à rester sur le qui-vive, signale Sherry Cooper, de BMO Marchés des capitaux.

«Il faut compter de 12 à 18 mois pour que des changements dans les taux d'intérêt se répercutent pleinement dans l'économie, rappelle Craig Alexander de Groupe financier Banque TD. La Banque doit prévoir ce que sera l'inflation dans plus d'un an d'ici.»

Elle pourrait être surprise par l'accélération de la croissance, car le stimulus fiscal adopté par le Congrès américain devrait être favorable à notre commerce extérieur, jugent François Dupuis et Stéfane Marion respectivement chez Desjardins et à Banque Nationale Groupe financier.

Avery Shenfeld de CIBC est d'avis que la Banque doit acquérir la conviction qu'une croissance d'environ 2,5% est possible avec des hausses de taux, avant de reprendre les hausses du taux directeur.

S'il y a unanimité parmi notre aréopage, c'est que les autorités monétaires canadiennes vont se remettre à hausser les taux en cours d'année, alors qu'il leur paraît des plus improbables que la Réserve fédérale ou la Banque centrale européenne puissent en faire autant.

La Fed sur la touche encore longtemps

Chez nos voisins, la deuxième réactivation de la planche à billets jusqu'à concurrence de 600 milliards d'ici juin sera sans aucun doute menée à terme, estiment-ils.

Ils ne voient pas non plus de hausse du taux directeur avant la fin de l'an prochain, au plus tôt. Depuis décembre 2008, il évolue dans une fourchette de 0,0% à 0,25%. Le 14 décembre, la Fed a réitéré son intention de la maintenir pour une durée prolongée.

Une troisième phase de détente quantitative paraît cependant peu probable, puisque le Congrès a finalement approuvé un nouveau stimulus fiscal. Il reconduit pendant deux ans les baisses d'impôt de l'ère de George W. Bush, prolonge de 13 mois les indemnités de chômage jusqu'à 99 semaines dans les États les plus affaiblis par la récente récession et diminue de deux points de pourcentage les déductions à la source pour la sécurité sociale.

«Même si les baisses d'impôt vont stimuler la croissance, la Fed voudra sans doute maintenir les taux d'intérêt à long terme à un faible niveau tant que la reprise ne sera pas à la fois robuste et soutenue», juge Sherry Cooper.

Pour les uns, la combinaison de la souplesse de la Fed et du stimulus fiscal ajoutera plus d'un demi-point de pourcentage à la croissance américaine l'an prochain. Stéfane Marion croit même que ce surplus de croissance est susceptible de générer la création de deux millions d'emplois

François Dupuis ne partage pas cet optimisme. «La reconduction des baisses d'impôt n'est pas un nouveau stimulus, analyse-t-il. Seules les mesures qui l'accompagneront comme la baisse du Payroll Tax augmenteront le revenu disponible des Américains, mais leurs effets seront modestes.»

Il s'attend donc à ce que le chômage reste élevé. Tout comme Warren Jestin qui se soucie en plus du déficit budgétaire accru qui découle du stimulus. «La préoccupation des investisseurs devant les déficits fiscal et commercial massifs va exercer des pressions à la hausse sur les rendements des obligations et réduire la valeur du dollar américain», prédit-il.

La BCE écartelée

Si les défis auxquels la Fed est confrontée font passer ceux de la Banque du Canada pour de la petite bière, que dire de ceux qui déchirent la Banque centrale européenne?

Son taux directeur a été fixé à 1%, il y a plus d'un an, mais elle ne peut le diminuer davantage pour stimuler les économies de certains pays puisque l'inflation trotte près de la barre de 2%. Certaines économies comme l'Allemagne et les Pays-Bas carburent à plein, tandis que d'autres comme la Grèce ou l'Irlande sont replongés en récession à cause de l'austérité fiscale qui leur a été imposée pour assurer la solvabilité de leur dette souveraine et des banques qui la détiennent.

«On s'attend à la stabilité des taux à leurs niveaux actuels, c'est-à-dire trop élevés pour certains pays, trop faibles pour d'autres et au niveau adéquat pour aucun», résume Craig Wright.

«Une politique monétaire de type «taille unique» est impossible», renchérit Avery Shenfeld.

La classe politique devra façonner une solution à long terme capable d'assurer la viabilité de la zone euro, estime Stéfane Marion. En attendant, la BCE est acculée à acheter des obligations souveraines des États les plus faibles, car leurs coûts d'emprunt sont devenus prohibitifs, estime Sherry Cooper.

La défaillance de certains États affaiblirait dangereusement plusieurs grandes banques européennes, déjà aux prises avec les conséquences de recours excessifs à l'effet de levier. Les nouveaux accords de Bâle III adoptés par le G20 en novembre les obligeront à augmenter leur capitalisation et la qualité de leurs capitaux.

Bref, la BCE doit composer avec la fragilité encore méconnue du système financier européen, croit Carlos Leitao. François Dupuis ajoute: «La BCE devrait maintenir ses lignes spéciales de crédit destinées aux institutions financières en manque de liquidités.»