En 2008, première année où des cibles auraient dû être atteintes dans le cadre du protocole de Kyoto, aucune province canadienne n'a atteint l'objectif de réduction de 6% des émissions de gaz à effet de serre (GES). Par rapport à 1990, les émissions canadiennes ont au contraire crû de 24% et sont ainsi 31% au-delà de la cible prévue.

Le Québec peut se consoler d'une chose: avec l'Île-du-Prince-Édouard, elle est la seule province où les émissions ont diminué: -0,9% en 18 ans.

Pour cette diminution, nous ne devons cependant pas féliciter les responsables des mesures gouvernementales - c'est plutôt à la chute des secteurs manufacturier et forestier québécois qu'il faut attribuer la décroissance des émissions, ainsi qu'aux efforts des alumineries qui ont grandement amélioré l'efficacité de leur production.

C'est donc l'industrie qu'il faut applaudir pour la bonne performance du Québec dans les émissions de GES! Dans la plupart des secteurs directement liés à nos activités quotidiennes (transport, alimentation/agriculture et déchets), les émissions ont crû. Seul le secteur du chauffage résidentiel a connu un déclin des émissions, avec la conversion à l'électricité et au gaz naturel de maisons chauffées au mazout.

D'ici 2020, le gouvernement québécois vise une diminution de 20% des émissions. Comment cela sera-t-il possible? Quel est le plan qui nous permettra d'y arriver?

Il est cette fois difficile de compter sur le déclin manufacturier ou sur d'autres gains aussi importants dans les alumineries: ce serait l'équivalent de demander aux personnes sans embonpoint de faire chuter le poids de la population.

En fait, il n'y a qu'une seule approche réaliste pour réduire les émissions: agir là où c'est le plus rentable de le faire. Et la bonne nouvelle, contrairement à ce que l'on entend souvent, c'est que réduire les émissions de GES rendra la société québécoise plus riche et plus productive.

Tout d'abord, le transport routier (34% des émissions québécoises, +32% depuis 1990). Il nous coûte extrêmement cher en matière d'infrastructures (pensons à l'échangeur Turcot), de frais d'achat et d'entretien des véhicules, d'essence, de congestion, d'accidents de la route et de qualité de l'air.

Selon une estimation de Transports Canada, les coûts annuels directs et indirects du transport routier au Québec s'élèvent à 36 milliards - environ l'équivalent de la moitié du budget provincial. Avec un changement de cap important vers des voitures moins énergivores, plus de covoiturage, des transports en commun améliorés, des trains fiables et réguliers et des villes accueillantes pour les vélos et les piétons, non seulement brûlerions-nous moins d'essence et réduirions-nous les émissions de GES, mais nous dépenserions collectivement moins pour le transport.

Pour arriver à ce résultat, ce n'est pas dans des véhicules électriques plus chers qu'il faut investir, mais dans une transition progressive, ferme et rapide, vers le cocktail de transport mentionné ici.

En agriculture (9,5% des émissions québécoises, +3% depuis 1990), il faut cesser de subventionner l'élevage d'animaux. Non seulement grève-t-il le budget québécois de centaines de millions de dollars année après année (notamment à travers le programme d'assurance stabilisation des revenus agricoles, en déficit quasi permanent), mais il induit une pollution des cours d'eau parce que les excréments animaux sont loin d'être bien gérés.

Par ailleurs, avec une viande non subventionnée, les efforts des nutritionnistes et de la société canadienne du cancer pour limiter la consommation de viande rouge et de viande transformée seraient plus efficaces. En effet, un signal de prix soutiendrait le message éducationnel. Encore une fois, des réductions significatives de GES s'accompagneraient d'économies pour l'ensemble de la société.

Dans le chauffage commercial et institutionnel (7,4% des émissions québécoises, +43% depuis 1990), un code du bâtiment plus strict, avec des incitatifs favorisant les investissements sur de longs horizons, plutôt qu'une gestion à court terme, permettraient d'obtenir d'autres gains importants réduisant simultanément les émissions de GES et les coûts d'exploitation.

Si des efforts similaires étaient faits dans le secteur résidentiel, le potentiel d'efficacité énergétique en électricité de 8 TWh par année établi par l'Agence de l'efficacité énergétique pourrait être atteint. Avec 8 TWh d'économies d'électricité, c'est autant d'exportations qui pourraient être réalisées - gonflant les profits d'Hydro-Québec et réduisant d'environ 4 millions de tonnes de GES (près de 5% des émissions québécoises) les émissions liées à la production d'électricité chez nos voisins.

En somme, le défi du développement durable n'est pas de concilier les gains économiques avec les défis environnementaux, mais plutôt de trouver les leaders qui permettront de mettre en place les réformes nécessaires. Elles nous rendront rapidement plus riches d'un environnement sauvegardé et d'une meilleure qualité de vie.

Pierre-Olivier Pineau est professeur à HEC Montréal.

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