Deux semaines après son annonce, la volonté de la Réserve fédérale américaine (Fed) d'acheter jusqu'à 600 milliards US en sept mois de Treasuries, soit plus que la totalité de la dette que va contracter Washington d'ici là, suscite toujours une vive polémique.

Après les critiques exprimées par l'Allemagne, le Brésil et la Chine au Sommet du G20 la semaine dernière, c'est au tour d'économistes d'allégeance républicaine d'implorer les autorités monétaires de faire marche arrière.

Dans une lettre ouverte à paraître cette semaine dans The New York Times et The Wall Street Journal, mais dont le quotidien financier faisait état en manchette de son numéro d'hier, l'aréopage soutient que «les achats prévus risquent de dévaloriser la monnaie et de générer de l'inflation». Ils ajoutent: «Nous ne pensons pas qu'ils vont atteindre l'objectif de la Fed de promouvoir l'emploi (...). Nous ne sommes pas d'accord avec l'idée que l'inflation doit être stimulée.»

Cette sortie coïncide avec la reprise des travaux au Congrès dont les républicains contrôlent désormais la Chambre des représentants tout en ayant affaibli la majorité démocrate au Sénat. Ces économistes, dont plusieurs ont servi dans les administrations de Ronald Reagan et des Bush père et fils, en appellent aussi à l'unité des forces républicaines pour sabrer les dépenses de l'État et pour réduire les impôts, seules voies à leurs yeux pour relancer l'économie américaine de manière soutenue et durable.

«Le Congrès ne devrait pas intervenir dans la politique monétaire, estime Francis Généreux, économiste principal, chez Desjardins. Sa gestion revient à la Fed.»

Imprimer jusqu'à 600 milliards US n'est peut-être pas efficace et est matière à critique. «Mais ce n'est sûrement pas dangereux.»

«Depuis un an ou deux, les temps sont très difficiles à comprendre, admet sans ambages François Barrière, vice-président, développement des affaires, marchés internationaux, à la Banque Laurentienne. Certains disent: si la Fed imprime de l'argent, les États-Unis risquent la faillite. D'autres soutiennent que, si elle n'en imprime pas, ils risquent la faillite.»

M. Barrière est d'avis qu'il faudrait une indigestion de dollars américains et une véritable monnaie de rechange au billet vert pour qu'il y ait risque sérieux de dépréciation soudaine. «Si je n'achète pas le dollar américain, j'achète quoi?» demande-t-il, soulignant que l'euro ne manque pas de défis.

Crainte d'inflation

L'initiative des économistes républicains survient alors que le marché obligataire donne des signes que les attentes inflationnistes s'installent dans la tête des investisseurs.

Le rendement des Treasuries venant à échéance dans 10 ans est passé de 2,53% en début de semaine dernière à 2,89% hier. Cité par l'agence Bloomberg, Stuart Spodek, un directeur chez de BlackRock, le plus gros gestionnaire de portefeuille au monde avec en mains un actif de 3450 milliards, a résumé ainsi la situation: «Il y aurait bien plus matière à inquiétude si, devant les gestes de la Fed, les marchés indiquaient qu'il va y avoir quand même de la déflation.»

La Fed a commencé à acheter des Treasuries vendredi. Elle en a acquis pour 7,23 milliards US en se concentrant dans les échéances de 4 à 7 ans. Son objectif est de pousser à la baisse les taux de ces échéances qui correspondent à la durée moyenne des emprunts des entreprises. Elle vise ainsi à relancer le crédit dans l'espoir de stimuler les emplois.

Les rendements des 10 ans augmentent, mais ce n'est peut-être pas à cause d'attentes inflationnistes. Il peut s'agir d'une correction, parce que plusieurs s'attendaient à ce que la Fed achète davantage cette échéance qui ne représente que 6% de ses acquisitions, comparativement à 43% pour les 4 à 7 ans.

Attentes inflationnistes ou correction, quoi qu'il en soit, la partie est loin d'être gagnée pour l'équipe dirigée par Ben S. Bernanke, à qui une aile du Parti républicain reproche toujours le sauvetage de Wall Street aux frais des contribuables. On connaîtra demain les chiffres de l'indice des prix à la consommation du mois d'octobre. On s'attend à ce que l'inflation de base (qui exclut les aliments et les énergies) ait progressé au rythme annuel de 0,7%, soit beaucoup moins que la zone de confort de la Fed qui se situe près des 2%.