«Je veux que ce soit un message pour les jeunes, qu'on peut réussir dans la vie», insiste le pharmacien le plus célèbre du Québec, Jean Coutu, à propos de sa biographie publiée ces jours-ci.

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«Je n'étais qu'un pharmacien avec aucune formation financière. Mais en nous entourant de bonnes personnes, nous avons réussi à faire quelque chose de qualité.»

Et qui devrait s'intéresser à cette biographie titrée Sans prescription, ni ordonnance?

«Les vieux, pour se reconnaître un peu dans l'histoire de notre entreprise, réplique M. Coutu, 82 ans. Mais aussi les jeunes, pour voir ce que nous avons fait. Qu'ils le copient s'ils pensent que c'est bon, mais qu'ils ne le fassent pas s'ils pensent que c'est mauvais.»

Parce que de bonnes idées commerciales, le récit du parcours de ce pharmacien entrepreneur depuis un demi-siècle en est évidemment farci.

«Ce que des gens comme moi souhaitent laisser, c'est que nous n'avons pas eu peur de faire quelque chose, quitte à risquer de manquer notre coup», dit Jean Coutu, au cours d'une entrevue avec La Presse Affaires.

«Les jeunes entrepreneurs d'aujourd'hui sont mieux formés que nous à l'époque. C'est un avantage important, mais ça peut aussi être un inconvénient si ça les amène à trop analyser les risques et négliger les occasions.»

Cela dit, dans son récit, M. Coutu admet des déceptions et des erreurs de parcours en affaires. Tout en voulant qu'elles servent de leçons aux entrepreneurs qu'il souhaite inspirer.

Sa pire erreur en carrière: avoir levé le nez trop vite sur l'occasion d'acheter la chaîne de 135 pharmacies Big V en Ontario, en 1995.

«Sans cette erreur, nous aurions 400 magasins en Ontario aujourd'hui», déplore Jean Coutu.

«Je n'ai pas d'excuse ni d'explication autre que d'avoir été trop têtu» (à vouloir payer quelques millions de moins, lit-on dans le livre).

«De plus, relate-t-il, les propriétaires de Big V voulaient vendre à nous plutôt qu'au concurrent Shoppers/Pharmaprix parce que ce dernier était une filiale d'une entreprise de tabac» (le groupe Imasco et Imperial Tobacco à l'époque).

Par ailleurs, c'est aux États-Unis que Jean Coutu admet avoir connu sa pire déception en affaires.

«Cette histoire m'a fait de la peine. Nous avions une filiale américaine (pharmacies Brooks) dont nous étions fiers parce qu'elle marchait bien comme nous au Québec, relate M. Coutu en entrevue. Mais là, la mise en vente de la chaîne Eckerd (par J.C. Penney) est arrivée. C'était une très grosse bouchée, mais nous étions enthousiastes. Et nous croyions avoir le personnel pour gérer ça. Mais durant les longues négociations, nous avons oublié que le personnel-clé d'Eckerd partait chez les concurrents. Nous nous sommes retrouvés avec une filiale où les ressources humaines étaient pourries», résume Jean Coutu.

Puis, pour empirer la situation, un important mais coûteux secteur d'affaires chez Eckerd - le développement rapide de photos - s'est effondré avec l'arrivée des caméras numériques.

«Du jour au lendemain, nous avions un coin important des pharmacies à remplacer. Il aurait fallu injecter de 300 à 400 millions US, ce qui dépassait nos moyens.»

Dans ce contexte, la proposition du concurrent Rite-Aid d'acheter les actifs américains de Coutu en échange de 250 millions de ses actions est apparue salvatrice.

Mais pas pour longtemps. Les actions échangées à 6$ US chacune se sont effondrées avec la dégradation des résultats de Rite-Aid.

«Dans certaines pharmacies Brooks qui marchaient bien auparavant, Rite-Aid a fait descendre les ventes de 30 à 35%, se remémore Jean Coutu. Et, malgré notre présence au conseil de Rite-Aid, ça nous a pris du temps à leur faire comprendre l'importance de la gestion des stocks proche des besoins de chaque magasin, plutôt qu'une liste de stocks uniforme.»

«Quand t'es au service des clients, faut que tu leur donnes ce qu'ils veulent. Et quand tu les prives de leurs achats habituels, tu les insultes et ils vont ailleurs!»