La Fondation Lucie et André Chagnon, créée pour financer des oeuvres charitables, a pris de tels risques dans la gestion de ses placements qu'elle a vu son magot fondre de 400 millions de dollars entre 2007 et 2008, a appris La Presse Affaires.

Au 31 décembre 2009, date la plus récente disponible, la plus importante fondation privée au Canada disposait d'un actif de 1,275 milliard. C'est 105 millions de moins qu'au moment de sa création il y a 10 ans.

«Notre objectif n'est pas de protéger 100% du capital de départ. Notre priorité, c'est de prévenir la pauvreté. Si, pour une période donnée, il faut entamer le capital, on n'est pas inconfortable», dit Claude Chagnon, fils d'André et, depuis un an et demi, président de la fondation.

À sa création, la fondation Chagnon a reçu une somme de 1,380 milliard de la part d'André Chagnon en provenance de la vente de Vidéotron à Quebecor Media en 2000.

Fait exceptionnel, le gouvernement fédéral a rétroactivement modifié la loi de l'impôt en 2002.

L'allégement fiscal avait fait économiser 180 millions aux Chagnon à l'époque.

En dépit de sa mission louable et de sa générosité - la fondation verse plus aux bonnes oeuvres que Centraide Montréal dans une année -, l'organisme suscite les critiques des groupes communautaires et syndicaux qui lui reprochent d'imposer ses volontés au gouvernement québécois avec ses millions.

Si l'origine de la fondation a suscité la controverse, l'audace de sa politique de placement en étonnera plus d'un.

Au dire de Claude Chagnon, sa fondation investit environ 70% de son avoir dans les actions, une part considérable.

Il n'est donc pas surprenant que l'actif de l'organisme de charité fluctue au gré des aléas de la Bourse. En 10 ans, la valeur de son actif a reculé à trois reprises.

Qui plus est, la fondation a perdu des dizaines de millions des placements malheureux dans les fonds Lancer et Norshield.

Toutefois, le choc est survenu entre 2007 et 2008 quand l'actif a dégringolé de 400 millions à la suite de la débandade boursière.

«En 2008, il n'y avait aucun endroit sur la Terre pour préserver des rendements. Tout le monde a écopé et nous également. À la fin de 2009, on n'a pas tout récupéré les pertes de l'année précédente», explique Claude Chagnon.

À sa décharge, la Fondation Chagnon n'est pas le seul organisme de charité à avoir subi un recul de son actif dans la décennie 2000. Par exemple, la Fondation McConnell, deuxième fondation privée en importance au Canada, a vu la valeur de son actif diminuer de 514 millions, en 2000, à 458 millions, en 2009.

«Il est normal que la valeur de l'actif des fondations fluctue au gré des marchés à l'image de l'actif d'une caisse de retraite, soutient Maurice Gosselin, professeur à l'École de comptabilité de l'Université Laval. Tout dépend de leur politique de placement.»

«Il y a deux dimensions à considérer: le niveau de risque qu'on est prêt à assumer et les liquidités dont l'organisme a besoin pour fonctionner, poursuit l'universitaire. Si l'actif fluctue et qu'on est obligé de vendre dans une mauvaise période parce qu'on a besoin de liquidités, ça pose des problèmes.»

Sur ce plan, la situation à la Fondation Chagnon paraît ambiguë. D'un côté, la Fondation débourse cette année 70 millions, soit environ 4,6% de son actif.

Les revenus annuels d'intérêts et de placements oscillent entre 22 et 26 millions, selon les déclarations annuelles de la fondation déposée à l'Agence du revenu du Canada. D'où la nécessité de vendre des placements ou de puiser dans l'encaisse pour payer la différence entre les engagements de 70 millions et les revenus courants. De l'autre côté, Claude Chagnon croit que le temps joue en sa faveur. «Il est reconnu dans le milieu du placement qu'à long terme, la Bourse donne de meilleurs rendements. Notre situation nous permet de placer plus à long terme le capital. C'est dans cette optique qu'on a choisi le dosage de nos placements entre revenus fixes et marché boursier.»

Le rendement sur l'actif de la fondation après 9 mois en 2010 se situe entre 6 et 7%.

FONDATION LUCIE ET ANDRÉ CHAGNON

Actif total en millions

Capital de départ 1380

2000 1395

2001 1452

2002 1407

2003 1270

2004 1301

2005 1321

2006 1391

2007 1532

2008 1116

2009 1275

Source: Revenu Canada