Une guerre de taux de change se dessine entre pays développés et émergents : c'est à qui dévaluera le plus sa monnaie pour soutenir ses exportations. Cette logique du chacun pour soi risque de faire dérailler la reprise mondiale, en plus de causer des remous inédits sur les marchés monétaires.

Une guerre de taux de change se dessine entre pays développés et émergents : c'est à qui dévaluera le plus sa monnaie pour soutenir ses exportations. Cette logique du chacun pour soi risque de faire dérailler la reprise mondiale, en plus de causer des remous inédits sur les marchés monétaires.

À l'approche de plusieurs rencontres internationales, toutes préparatoires à la prochaine réunion du G20 à Séoul au début du mois prochain, les déclarations se multiplient afin de calmer le jeu sur le marché des changes.

C'était au tour du ministre canadien des Finances Jim Flaherty hier de mettre en garde ses homologues. Il y a risque d'entraver les échanges commerciaux et de compromettre la reprise, si certains pays tentent de manipuler la valeur de leur monnaie sur les marchés de change.

Selon un haut fonctionnaire fédéral, le Canada fera valoir à Washington le week-end prochain que la valeur d'une devise doit être déterminée par les forces du marché.

M. Flaherty présidera demain après-midi la réunion des ministres des Finances du Commonwealth qui se tient en marge des assises semestrielles du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale. En soirée, il sera l'hôte à l'ambassade du Canada d'un dîner réunissant les ministres des Finances et les banquiers centraux du G7. Le lendemain, il participera à la réunion du Comité monétaire et financier international. Le ballet diplomatique pré-G20 se poursuivra tout le mois.

Le temps presse. La mise en application de ce qui a été convenu à Toronto ne va pas de soi, même si les États membres s'étaient montrés «résolus à prendre des mesures concertées pour soutenir la reprise».

Depuis, on assiste plutôt à la multiplication des initiatives unilatérales dans un esprit du chacun pour soi, car la reprise décélère dans les économies avancées.

En particulier, le volet qui consiste à «accroître la flexibilité du taux de change dans certains marchés émergents» pose problème.

«Le moyen le plus facile d'y arriver, c'est de modifier les taux de change nominal, déclarait plus tôt cette semaine à La Presse Tiff Macklen, premier sous-gouverneur de la Banque du Canada. Sinon, il y risque d'inflation en Chine et de déflation aux États-Unis», les deux principales économies du monde.

«Les Chinois sont en train d'exporter leur chômage, explique Bernard Élie, professeur associé en sciences économiques à l'UQAM. Ça exaspère les autres pays, surtout les États-Unis.»

Mais comment convaincre la Chine, sans l'offusquer, que le yuan doit être réévalué davantage et assez rapidement? Depuis juin, la devise chinoise, qui se négociait depuis deux ans à 6,83 contre un dollar, s'est appréciée de 2%, seulement.

Une monnaie faible a pour double objectif de stimuler les exportations afin de conserver ou conquérir des marchés extérieurs et de renchérir les importations afin de maintenir le marché intérieur.

Grogne contre la Chine

Devant la persistance de Pékin à trop peu bouger, les autres grandes puissances économiques grognent et passent à l'acte.

«On ne peut pas dévaluer sa monnaie comme dans les années 30 parce qu'il n'y a plus de contrôle possible des changes, poursuit M. Élie. Sauf pour le yuan qui est une monnaie qui ne se négocie pas sur les marchés.»

On procède donc autrement. La Banque du Japon a créé de toute pièce un fonds équivalant à 60 milliards de dollars américains pour inonder les marchés de yens. Tokyo a aussi averti Pékin de cesser d'acheter des obligations japonaises.

D'autres pays d'Asie, telles la Corée du Sud, la Thaïlande ou l'Inde, veulent aussi freiner la poussée du won, du baht ou de la roupie au profit du yen et du yuan.

Les États-Unis et le Royaume-Uni parlent ouvertement de réactiver la planche à billets pour stimuler le crédit, mais aussi pour affaiblir le billet vert et la livre.

Le Brésil achète massivement des dollars américains pour contenir la montée du réal. En vain. Depuis quelques mois, la Banque nationale de Suisse empile des euros dans le but d'affaiblir le franc. Mais il monte toujours.

Manipuler les monnaies, c'est jouer à l'apprenti sorcier car on ne connaît pas les effets à moyen terme de ce type d'interventions. On sait par contre qu'elles sont sources de tensions qui attisent les réflexes protectionnistes.

Les États-Unis viennent d'en fournir un bel exemple. Les représentants démocrates veulent faire adopter une loi qui autoriserait l'imposition de tarifs douaniers sur les marchandises produites par des pays dont la monnaie est délibérément sous-évaluée.

Nous sommes loin de la belle concertation qui avait permis une sortie assez rapide de la récente crise financière.