Le géant des télécoms BCE (T.BCE) paiera 1,3 milliard de dollars pour acquérir la propriété entière de CTV, le plus gros télédiffuseur privé au Canada, afin de rehausser le contenu audiovisuel offert aux clients des réseaux de Bell.

La transaction annoncée hier à hauteur de 3,2 milliards, en incluant la dette de CTV, bouscule encore le paysage médiatique au Canada. Car le rachat complet de CTV par BCE, dont il détenait déjà 15 %, passera par le démantèlement de l'entreprise CTVglobemedia, qui possédait aussi l'influent quotidien Globe & Mail.

Le contrôle majoritaire du Globe reviendra entre les mains de ses propriétaires d'antan, la famille milliardaire Thomson, de Toronto. BCE conservera une petite participation de 15 %.

Quant aux deux autres actionnaires de CTVglobemedia, soit la caisse de retraite Teachers' et l'entreprise de presse Torstar, éditeur de quotidiens dont le Toronto Star, ils ont décidé de retirer leurs billes de cette société médiatique.

Au Québec, la transaction annoncée hier par la société mère de Bell Canada pourrait avoir des conséquences coûteuses pour son principal concurrent : Vidéotron, plus grosse filiale de Quebecor. Parce qu'en achetant tout CTV, qui compte 27 stations d'un océan à l'autre, BCE acquiert aussi une trentaine de chaînes de télé spécialisées, dont le populaire duo de sports TSN et RDS.

Or, au lancement jeudi de la téléphonie mobile de Vidéotron, en concurrence directe de Bell mobilité, les patrons du câblodistributeur ont vanté la capacité de leur nouveau réseau 3G de diffuser en direct des matchs du Canadien et des chaînes de sports comme RDS pour attirer de nouveaux abonnés.

Mais hier, au cours de la téléconférence d'analystes, le président et chef de la direction de BCE, George Cope, à tenu à tempérer les ambitions de son concurrent.

Il a souligné que le rachat complet de CTV et de chaînes comme TSN et RDS visait notamment à en privilégier l'accès aux clients de Bell Canada en télé par satellite, internet et téléphonie mobile.

« Nous n'aurons aucune obligation d'offrir quoi que ce soit à nos concurrents dans la téléphonie mobile, que ce soit en sports ou en informations », a indiqué M. Cope, avant de rappeler que BCE est aussi participant minoritaire à la propriété du Canadien de Montréal.

« Avec cette propriété, et celle prochaine de la chaîne RDS, nous obtiendrons un levier de développement (au Québec) que nous entendons faire fructifier le plus possible à notre avantage. »

Pour sa part, le président sortant de CTVglobemedia, Ivan Fecan, a rappelé aux analystes que plusieurs ententes de redistribution de chaînes comme TSN et RDS venaient à terme en fin d'année.

« Pour la suite, selon le cadre réglementaire, nous entendons obtenir les meilleurs deals pour l'intérêt de BCE », a indiqué M. Fecan.

Appelée à commenter ces déclarations, la vice-présidente de Vidéotron responsable de la nouvelle filiale de téléphonie sans fil, Manon Brouillette, a préféré s'abstenir.

Accueil mitigé

Entre-temps, du côté des investisseurs boursiers, l'annonce a été accueillie sans grand enthousiasme. Les actions de BCE ont enregistré un gain à peine équivalent à celui de l'indice phare de la Bourse de Toronto, soit 0,4 %, pour terminer à 32,99 $.

Pourtant, en expliquant la transaction, les dirigeants de BCE ont insisté sur des paramètres financiers qu'ils estiment avantageux. À 9,9 fois le bénéfice d'exploitation, le prix convenu pour l'achat de 85 % du capital-actions de CTV qui manquait à BCE se comparerait bien avec des transactions semblables conclues récemment.

Entre autres, on a fait allusion à l'achat des actifs télévisuels du groupe déchu Canwest Global par le câblodistributeur Shaw Communications, dans l'ouest du Canada.

Mais de l'avis d'analystes, les investisseurs entretiennent des doutes quant aux milliards investis par des entreprises de télécoms comme BCE pour acheter des producteurs de contenu. D'autant plus que ce type de « convergence » entre médias et télécoms s'est déjà avéré une aventure très coûteuse, notamment chez BCE il y a quelques années.

« Pour le moment, on ne peut pas être bullish avec les perspectives de synergie et de revenus de cette transaction de BCE pour CTV », a commenté Greg MacDonald, analyste en télécoms à la Financière Banque Nationale à Toronto.

« Il y a du scepticisme envers la convergence. Des investisseurs auraient préféré que BCE utilise ses liquidités pour racheter de ses actions. »

Mais, selon Maher Yaghi, analyste en télécoms chez Valeurs mobilières Desjardins à Toronto, l'achat de CTV par BCE s'annonce positif dans cette nouvelle vague de convergence.

« Avec ce qu'ont fait ses concurrents (Vidéotron, Shaw, Rogers), une telle transaction devenait nécessaire pour Bell pour ne pas être laissée en arrière. C'est un geste stratégique alors que la technologie de télédiffusion par téléphonie et internet mobile est sur le point de connaître une accélération majeure », selon M. Yaghi.