La Banque du Canada a le champ libre pour hausser le loyer de l'argent une deuxième fois d'affilée demain. Il restera encore exceptionnellement faible, compte tenu de la santé de l'économie et du rythme annuel d'inflation.

Le taux cible de financement à un jour passerait alors à 0,75% si la Banque serrait la vis d'un quart de tour. Il s'agit en fait d'un taux directeur réel négatif, encore très stimulant pour l'économie, quand on considère que l'indice de référence de la Banque pour mesurer les tendances inflationnistes trottait en mai au rythme annuel de 1,8%, à deux dixièmes près de sa cible.

Cette situation contraste avec celle des États-Unis où l'indice des prix à la consommation, en excluant l'énergie et les aliments, ne progresse plus qu'à 0,9%, ce qui reflète la sous-utilisation persistante des capacités de production.

Banques

Les banques canadiennes transmettent bien, en outre, les effets de la politique monétaire. Non seulement prêtent-elles davantage que leurs vis-à-vis américaines, mais plus facilement et à des taux plus avantageux. Alors que la Réserve fédérale américaine réitère qu'elle va maintenir son taux cible de financement à un jour dans une fourchette de 0% à 0,25% «pour une durée prolongée», les banques américaines établissent leur taux préférentiel à 3,25%.

Si la Banque du Canada va de l'avant demain avec une hausse de 0,25%, le taux d'intérêt que les banques offrent à leurs meilleurs clients s'établirait à 2,75% seulement.

Même un resserrement plus musclé garderait les conditions du crédit plus avantageuses au Canada. La récente enquête trimestrielle auprès des responsables menée par la Banque faisait état d'assouplissements des modalités tarifaires (taux) et non tarifaires (critères de sélection) dans les prêts aux ménages et aux entreprises, quelle que soit leur taille.

«Le mécanisme de transmission de la politique monétaire canadienne fonctionne à fond de train, souligne Eric Lascelles, macro-stratège à la Banque TD. Les deux pays n'ont plus à avoir des politiques siamoises.»

L'économie interne ne le justifie pas non plus quand on examine le marché du travail, le commerce extérieur ou même le rattrapage du secteur manufacturier.

En juin, il manquait à peine 14 000 emplois pour qu'on retrouve le niveau d'avant récession. «Une politique de taux réels négatifs a contribué à restaurer la demande intérieure depuis le début de la récession, a dernièrement fait remarquer Yanick Desnoyers, économiste en chef adjoint à la Banque Nationale. Une telle politique n'est plus nécessaire.»

Ces commentaires trouvent leur justification dans la timidité avec laquelle la Banque a procédé à une première hausse en plus d'un an de son taux cible, le 1er juin. «Étant donné l'incertitude notable pesant sur les perspectives, toute nouvelle réduction du degré de détente monétaire devra être évaluée avec soin, en fonction de l'évolution économique à l'échelle nationale et internationale», lisait-on dans le communiqué.

Les autorités monétaires ont aussi évoqué la nature inégale de la reprise mondiale, forte dans les économies émergentes, faible en Europe, chancelante aux États-Unis.

Depuis le 1er juin, l'inquiétude s'est emparée des marchés financiers. En outre, le compte rendu de la réunion de la Réserve fédérale du 23 juin publié la semaine dernière a reflété de vives préoccupations sur le bilan de santé de l'économie américaine et des divergences sur la conduite à adopter.

Ces risques vont sans doute inciter les autorités monétaires canadiennes à réviser quelque peu à la baisse leur scénario de croissance, pour les États-Unis comme pour le Canada.

En avril, la Banque prévoyait que la progression du PIB réel canadien serait de 3,8% en rythme annuel. Il s'agit d'un chiffre élevé, compte tenu de la stagnation du PIB mesuré par industrie en avril.

Cela dit, un rythme annuel de croissance d'environ 3% pour les troisième et quatrième trimestres est loin de signaler une rechute en récession, surtout que la Banque estime à 1,9% le potentiel de croissance canadien, une fois la phase de rattrapage de la reprise terminée.

Voilà pourquoi, les 11 membres du comité fantôme de politique monétaire de l'Institut C.D. Howe de Toronto sont unanimes à réclamer des hausses successives du taux directeur demain, en septembre et encore par la suite. Cinq sur 11 réclament même une augmentation de 50 centièmes.

Ils sont très divergents pour la suite des choses. Dans un an, le taux cible sera fixé à 1,75% pour les plus prudents qui craignent un trop grand écart entre les taux canadien et américain, mais jusqu'à 3,5% pour d'autres, compte tenu des pressions inflationnistes qui ne pourront que s'intensifier.