Le Groupe Jean Coutu (T.PJC.A) fera pression sur le ministre de la Santé, Yves Bolduc, pour éviter que Québec n'emboîte le pas à la décision de l'Ontario de réduire substantiellement les indemnités versées aux pharmacies.

«Ce qui est important, c'est de faire comprendre au gouvernement que (les pharmaciens sont) des partenaires très positifs qui font en sorte que le système fonctionne. Les pharmaciens sont présents sept jours par semaine, ils donnent le service. Il faut qu'on apprécie cette situation-là», a déclaré le président et chef de la direction de l'entreprise longueuilloise, François Jean Coutu, au cours d'un entretien téléphonique, mercredi.

Il y a trois semaines, l'Ontario a annoncé son intention d'interdire les «indemnités professionnelles» versées aux pharmacies par les fabricants de médicaments génériques, qui représentent des revenus annuels de 750 millions pour les commerçants de cette province. Le gouvernement veut ainsi réduire de moitié - soit quelque 500 millions par année - sa facture de médicaments génériques.

M. Coutu s'attend à ce que les pharmacies québécoises soient touchées, du moins en partie, par la réforme ontarienne, qu'il qualifie de «préoccupante». «Je crois qu'il va y avoir des changements parce que le Québec (en vertu de la Politique du médicament) doit suivre les politiques de prix des autres provinces, a-t-il souligné. Alors s'il y a une réduction des prix (en Ontario), c'est sûr qu'il va y avoir quelque chose au Québec.»

Jean Coutu cherchera à convaincre le ministre Bolduc de limiter cette baisse au minimum, puisque l'application intégrale de la réforme ontarienne au Québec aurait un impact visible sur ses résultats financiers.

La direction de l'entreprise a toutefois prévenu mercredi que Québec serait mal avisé d'imiter totalement l'Ontario puisque son régime est déjà plus réglementé. Pour Jean Coutu, le système québécois est «gagnant-gagnant» pour l'industrie, qui y trouve une façon de bien financer ses activités, et pour le gouvernement, qui obtient des services pharmaceutiques de qualité.

«Pourquoi briser cette belle chimie?», a demandé François Jean Coutu.

Le numéro un de l'industrie, Shoppers Drug Mart, conteste férocement le projet ontarien. La chaîne a réduit les heures d'ouverture de certaines pharmacies situées dans la circonscription de la ministre de la Santé, Deb Matthews, et facture désormais les clients de ces établissements pour la livraison de médicaments à domicile.

Pour l'instant, Jean Coutu adopte une autre approche. Déplorant la virulence du débat qui fait rage en Ontario, il salue la décision de Québec de tenir des pourparlers avec les pharmaciens, les fabricants de médicaments génériques et les grossistes afin d'en arriver à un «aboutissement positif».

«Le gouvernement n'a sûrement pas l'intention de faire une guerre avec les pharmaciens comme ça s'est fait en Ontario, a avancé M. Coutu. (...) Le ministre a la discrétion de retarder toute application d'une réduction de prix pour justement parler aux intervenants.»

Quoi qu'il arrive, le dirigeant promet que les pharmacies Jean Coutu ne réduiront pas les services à la population. «Jamais nous allons prendre la population en otage, a-t-il assuré. (...) On a un historique de service à la clientèle. (...) C'est là-dessus qu'on s'est fait connaître.»

Préférant se concentrer sur la consolidation de sa position de leader au Québec, le Groupe Jean Coutu ne prévoit pas, du moins à moyen terme, lancer une stratégie d'expansion en Ontario. Mais une chose est sûre, l'entreprise devra tenir compte de la réforme avant de décider ou non de faire le saut.

«Évidemment, si ça rend les choses plus difficiles, l'investissement (en Ontario), on va peut-être le retarder, mais ce n'est pas nécessairement encore évalué», a affirmé François Jean Coutu.

Le fils du fondateur de l'entreprise voit par ailleurs d'un bon oeil l'adoption récente par le Congrès américain d'une réforme de la santé, qui profitera selon lui aux pharmacies du pays, y compris Rite Aid, dont Jean Coutu détient 28% des actions.

«Ca devrait aider les pharmacies américaines, parce que ça va créer un achalandage additionnel, a estimé M. Coutu. Maintenant, est-ce que les marges vont être bonnes? Ca reste encore à déterminer.»

Résultats

À son quatrième trimestre, qui a pris fin le 27 février, Jean Coutu a enregistré des profits nets de 42,8 millions (18 cents par action). Pendant la même période de l'an dernier, l'entreprise avait essuyé une perte nette de 733,6 millions (3,11 $ par action) en raison d'une forte radiation liée à Rite Aid. Le bénéfice d'exploitation avant amortissement a crû de 15,8%.

Les revenus trimestriels ont atteint 637 millions, en hausse de 4,%, grâce à la croissance générale du marché et à l'augmentation du nombre de pharmacies franchisées.

Les ventes au détail du réseau Jean Coutu ont augmenté de 3,8%. Celles de la section pharmaceutique se sont accrues de 4,8%, alors que celles de la section commerciale ont progressé de 2,2%. Les ventes de médicaments en vente libre, qui ont représenté 9% des ventes au détail totales, ont crû de 2,7%.

Au cours de la téléconférence tenue avec les analystes financiers, François Jean Coutu a indiqué que la saison des Fêtes avait été bonne, mais que l'hiver plutôt doux expliquait la faible croissance des ventes de médicaments en vente libre, plus particulièrement les produits contre le rhume et la grippe. Cela a nuit à l'achalandage en magasin et, par ricochet, aux ventes des produits non pharmaceutiques.

Les ventes de la filiale de fabrication de médicaments génériques de Jean Coutu, Pro Doc, ont atteint 28,9 millions, contre 26,8 millions au troisième trimestre et 14,1 millions il y a un an.

Jean Coutu a annoncé mercredi une hausse de 22% de son dividende annuel, qui atteindra désormais 22 cents par action, procurant un rendement de 2,4% au cours actuel.

En début d'après-midi, mercredi, l'action de Jean Coutu s'échangeait à 9 $, en baisse de 0,7%, à la Bourse de Toronto. Le titre avait dégringolé de près de 6% dans la foulée de l'annonce de la réforme ontarienne.