Qu'ont en commun les lois et règlements visant la santé et la sécurité au travail, l'information financière, la sécurité alimentaire, la protection de la faune et de la flore, le transport routier de marchandises, l'import-export et la concurrence? Au-delà de leurs raisons d'être respectives et spécifiques fondées sur la coutume, l'éthique, la science, voire l'idéologie, toutes entraînent des coûts de mise en conformité pour les entreprises et les individus concernés, dont l'ampleur explique souvent les résistances, actions illicites et autres tentatives de contournement.

Depuis le début de l'actuelle décennie, les coûts de mise en conformité des entreprises aux lois et règlements existants, mis à jour ou nouveaux - comme la loi américaine Sarbanes-Oxley sur la gouvernance, les dispositions des accords de Bâle visant les banques et les institutions financières, la loi européenne sur la concurrence, le nouveau régime fiscal chinois, les exigences internationales en matière de traçabilité alimentaire, les règlements municipaux sur la qualité de l'air - auraient plus que doublé.

Selon une enquête menée par la firme PricewaterhouseCoopers, les cadres supérieurs consacrent désormais en moyenne plus de 6% de leur budget à la mise en conformité, une entreprise type dépensant de la sorte environ 500 000$ par année. Alors que plusieurs gouvernements souhaiteraient revoir leur réglementation financière ou se doter d'une politique conséquente de lutte contre les changements climatiques, la pression venant des entreprises irait donc plutôt dans le sens de lois et règlements considérablement allégés.

Pourtant, d'après la même enquête, 44% des cadres interrogés admettent que leur employeur ne semble pas avoir l'heure juste quant à l'ensemble de ses dépenses de mise en conformité. Plus du quart des entreprises n'auraient en effet aucun moyen de mesurer le rendement de leurs efforts en ce sens. Et les sociétés qui prétendent le savoir omettraient souvent d'inclure dans leur bilan une bonne partie du temps managérial sacrifié et des occasions d'affaires perdues. Deux groupes de facteurs organisationnels sont à l'origine des coûts de mise en conformité: ceux liés à la structure de l'entreprise et ceux associés aux fournisseurs des biens et services permettant à l'entreprise de satisfaire aux exigences réglementaires.

Les premiers ont été beaucoup discutés lors des scandales financiers survenus au début des années 2000, et certaines lois et certains règlements (comme la loi Sarbanes-Oxley) contiennent maintenant plusieurs prescriptions à leur sujet. Il s'agit notamment de la protection des sonneurs d'alarme (whistleblowers), de la composition des conseils d'administration, de la rémunération et de l'intéressement, des audits internes, de la divulgation d'information, de la représentation des femmes et des minorités visibles.

À la suite de certaines expériences heureuses en matière de conformité, cette liste comprend désormais les alliances stratégiques entre entreprises et organisations non gouvernementales. De nombreuses innovations sont à attendre sur ces volets: concernant la rémunération, par exemple, il semblerait possible d'inciter à la fois aux bons résultats financiers et à la conformité réglementaire en conditionnant le versement de primes au rendement à la réussite d'un audit de conformité.

Les fournisseurs de biens et services de mise en conformité, qui forment ce que l'on peut appeler les industries de la conformité (compliance industries), comprennent pour leur part les firmes comptables, les firmes d'avocats, plusieurs entreprises en technologie de l'information, les entreprises de l'éco-industrie (par exemple, les firmes spécialisées dans le traitement de l'air, la restauration des terrains pollués ou le traitement des déchets industriels), plusieurs sociétés d'assurances, etc. La taille de ce secteur dépasserait celle des secteurs pharmaceutique et de l'aéronautique réunis. Sa compétitivité, qui détermine le prix de ses prestations, pèse évidemment beaucoup sur les coûts de mise en conformité des entreprises régulées. On s'est toutefois peu interrogé jusqu'à maintenant sur les causes de celle-ci. Il revient au régulateur de la promouvoir, en veillant au maintien de la concurrence et en stimulant l'innovation.

Il y a une vingtaine d'années, Michael Porter, de l'Université Harvard, a formulé l'hypothèse suivante (qui porte désormais son nom) à propos de la réglementation environnementale: des lois et règlements bien pensés (smart regulations) devraient s'avérer bénéfiques pour l'environnement ET pour les entreprises visées. Bien que cette vision optimiste (gagnant-gagnant) soit toujours fortement controversée, il n'est pas interdit de penser qu'une révision créative de la mise en conformité pourrait finalement venir la valider.

Bernard Sinclair-Desgagné est professeur titulaire à la Chaire d'économie internationale et de gouvernance à HEC Montréal et fellow du CIRANO.