Les chaînes de télévision spécialisées sont «des machines à imprimer de l'argent», aussi rentables que les banques ou les pétrolières. Pendant ce temps, la télévision généraliste tire le diable par la queue, bien qu'elle ait un plus grand auditoire, constatent des observateurs de l'industrie.

Hier, La Presse Affaires faisait état des juteuses marges de profits des chaînes de télévision spécialisées, dans la foulée du débat lancé par le CRTC sur les redevances aux télés généralistes.

En 2009, les marges de profits des chaînes spécialisées ont souvent excédé les 30%. Une station comme Canal Vie a empoché 18,2 millions de dollars de bénéfices d'exploitation en 2009, soit l'équivalent de 44% de ses revenus. Les marges sont également impressionnantes dans le cas de Séries" (59%) et Canal D (48%), dont les profits ont oscillé entre 16 et 18 millions en 2009.

«Les entreprises de télé spécialisée sont des machines à imprimer de l'argent. On ne trouve pas beaucoup d'industrie avec des marges avoisinant les 50%», fait remarquer le professeur de comptabilité Michel Magnan, de l'Université Concordia.

De fait, les banques et les pétrolières sont généralement les entreprises les plus rentables dans les bonnes années. Or, les marges des chaînes spécialisées sont comparables. Au dernier trimestre, le bénéfice d'exploitation de la Banque Royale a atteint 33,6% de ses ventes. Dans le cas de la pétrolière Encana, l'une des plus grandes au Canada, la même marge a oscillé entre 21% et 53% au cours de la dernière année, variant en fonction du prix du pétrole.

Normand Turgeon, professeur de marketing à HEC Montréal, juge que ces profits faramineux pour des canaux de faible auditoire démontrent que le modèle est vicié. «La rente de marché des télés spécialisées n'est pas justifiée. C'est une conséquence du modèle d'affaires du CRTC et les télévisions généralistes ont tout à fait raison de s'interroger», dit-il.

L'auditoire des chaînes spécialisées ne correspond qu'à une fraction de celles des télévisions généralistes. Par exemple, depuis le début de 2010, l'auditoire moyen minute est de 39 400 personnes pour Canal Vie, de 32 200 pour Vrak TV et de 6400 pour Météomédia, nous indique la firme Carat. Or, ces trois chaînes ont empoché 41 millions de profits l'an dernier.

En comparaison, l'auditoire moyen de TVA a été de 357 000 depuis le début de l'année, indique la firme Carat, tandis que celui de V a été de 118 000. Or, le profit d'exploitation de l'ensemble des chaînes généralistes privées du Québec a été de 23,2 millions, pour une marge de 5,5% des revenus.

La situation est plus dramatique pour Radio-Canada. Le réseau de télévision a fait une perte d'exploitation de 22 millions en 2009, soit 7,4% de ses revenus, indique un document du CRTC. L'entreprise a déclaré une perte d'exploitation de 9,5 millions pour la région du Québec, soit 2,2% de ses revenus, selon un document du CRTC. Cette perte a été réalisée malgré un auditoire presque six fois plus important que celui de Canal Vie, à 181 000 depuis le début de l'année au Québec.

La rentabilité des chaînes spécialisées tient au fait que leurs revenus sont fonction des redevances versées par les distributeurs (Vidéotron, Expressvu, etc.). Plusieurs chaînes spécialisées figurent dans plusieurs bouquets de canaux offerts en forfait et le nombre d'abonnés qui peut capter le signal est donc élevé. Dans les faits, l'auditoire est toutefois relativement faible.

Certains observateurs s'interrogent donc sur ce modèle de redevances, d'autant plus que les permis de diffusion ont été attribués gratuitement aux entreprises.

Le CRTC a vu contester en Cour d'appel fédérale son souhait d'accorder des redevances aux télés généralistes. Les distributeurs s'opposent à l'instauration de telles redevances.