Le patron du plus gros studio de jeux vidéo à Montréal craint une pénurie de personnel d'expérience avec l'implantation en rafale de studios concurrents, qui prévoient embaucher des centaines d'employés.

Et, à terme, la compétitivité internationale de Montréal et du Québec comme pôle majeur de production en divertissements numériques pourrait être compromise, s'inquiète Yannis Mallat, PDG d'Ubisoft-Montréal.

«Trois nouveaux studios qui embaucheront des centaines d'employés ont été annoncés à Montréal au cours des sept derniers mois. Faire grandir cette industrie, nous sommes absolument pour. Mais il faut aussi le faire à un bon rythme, avec une vision stratégique à long terme afin d'en assurer la pérennité», a indiqué M. Mallat au cours d'un entretien avec La Presse Affaires, à l'occasion de la conférence annuelle du CRIM, le Centre de recherche informatique de Montréal.

Pionnière de la production des jeux vidéo au Québec, depuis plus de 10 ans, la société française Ubisoft en demeure l'acteur le plus important avec 2300 salariés. Et l'ambition d'atteindre les 3000 salariés d'ici 2013.

Entre-temps, les succès d'Ubisoft à Montréal ont attiré ses concurrents internationaux, qui se sont installés avec des centaines d'employés chacun.

Cette concurrence pour la main-d'oeuvre qualifiée s'est avivée récemment avec l'annonce de trois implantations majeures qui prévoient recruter au moins 800 personnes en tout d'ici cinq ans.

Il s'agit de Funcom, d'origine norvégienne, ainsi que des entreprises THQ et Warner Brothers Interactive (WBI), toutes deux de Californie.

De plus, au-delà des encouragements fiscaux pour le multimédia, qui représentent des dizaines de millions par année, la venue de THQ et de WBI à Montréal a été favorisée par des subventions spéciales du gouvernement québécois. Elles s'élèvent à 3,1 millions et à 7,5 millions de dollars respectivement. Dans ce contexte, le président d'Ubisoft-Montréal craint-il des concurrents «subventionnés» pour la main-d'oeuvre qualifiée?

«Ce n'est pas à moi de commenter ce que le gouvernement considère bon pour industrie, a indiqué Yannis Mallat. Ma préoccupation, c'est la main-d'oeuvre qualifiée. Je m'inquiète que ça devienne un enjeu de compétitivité pour Montréal. On déjà vu ça ailleurs: des hubs d'activités se développer rapidement et péricliter ensuite en raison d'un manque de main-d'oeuvre qualifiée.»

Pour le PDG d'Ubisoft-Montréal, la «main-d'oeuvre qualifiée» signifie du personnel ayant la formation et l'expérience suffisantes pour superviser des équipes de production en divertissements multimédias, pour un marché mondial hautement concurrentiel.

Pousser plus loin

Depuis des années au Québec, les efforts de formation dans ce secteur, incluant ceux du «Campus Ubisoft», ont bien comblé les besoins de base. Mais il faut désormais pousser plus loin, selon Yannis Mallat.

«Nous avons poussé à la roue pour former la main-d'oeuvre junior et la relève de demain. Mais là, il faudrait une stratégie de main-d'oeuvre plus qualifiée afin de mieux appuyer les plans d'affaires des entreprises.»

Ces propos du patron d'Ubisoft-Montréal trouvent écho chez des regroupements sectoriels comme l'Alliance numérique.

Son directeur, Pierre Proulx, indique que les principaux intervenants discutent déjà des moyens d'améliorer la formation en multimédia, en particulier au collégial.

D'autant que le nombre des «800 étudiants» dans ce secteur qui était encore promu récemment par des représentants gouvernementaux, lors des récentes annonces de studios, serait gonflé par rapport à la réalité.

«Nous avons de la misère avec ce chiffre lorsque, en réalité, près du tiers des étudiants ne se rendent pas au diplôme, souligne Pierre Proulx. Par ailleurs, la formation mise en place depuis des années est devenue de calibre insuffisant. Nous préparons d'ailleurs des recommandations pour les autorités québécoises en formation.»

Mais pour Yannis Mallat, ces préoccupations semblent un peu plus pressantes. Au point de suggérer que l'industrie du multimédia obtienne plus de permissions pour recruter du personnel qualifié à l'étranger afin de superviser des projets d'envergure au Québec.

«Comme la main-d'oeuvre qualifiée dans notre secteur est pratiquement saturée à Montréal, nous devrions pouvoir en faire venir de l'étranger. Mais pour le moment, il y a plus de barrières qu'on le souhaiterait.»