La vague de suicides qui frappe depuis quelques années le géant de la téléphonie France Télécom pourrait valoir des ennuis judiciaires aux anciens dirigeants de l'entreprise.

Un rapport produit par l'inspection du travail relève que la haute direction était consciente de l'impact sur le personnel d'un important plan de restructuration lancé en 2006 mais n'a pas pris les mesures appropriées pour «remédier à la souffrance du travail».

Le plan, baptisé Next, prévoyait la suppression de 22 000 postes sur trois ans et 10 000 mutations. Les pressions internes et les mouvements de personnel qui en ont résulté sont régulièrement évoqués par les syndicats de l'entreprise comme la principale cause des suicides.

Depuis le début de l'année, 10 employés de l'entreprise se sont donné la mort - tous en dehors de leur lieu de travail - en incluant le cas d'un salarié de Saint-Quentin (Aisne), en février, parti en congé sabbatique pour créer sa propre entreprise. En 2008 et 2009, le nombre de suicides de salariés de France Télécom s'était établi à 35.

Dans le rapport, dont les grandes lignes ont été dévoilées samedi par le quotidien Le Parisien, l'inspectrice Sylvie Catala recommande au parquet du tribunal de Paris d'ouvrir une enquête pour «mise en danger de la vie d'autrui» et «harcèlement moral».

Elle relève que les dirigeants de France Télécom ont été alertés «à maintes reprises des effets produits sur la santé des travailleurs» mais n'ont pas réagi, préférant maintenir le cap pour «améliorer le rendement, l'efficacité et la productivité» du groupe.

Toujours selon le rapport, les effets psychologiques sur les employés du plan de rationalisation étaient abordés dans un manuel produit à l'attention des cadres où il était question des «résistances» et des «moyens de faire céder» le personnel relativement aux restructurations souhaitées.

»Homicide involontaire»

Un autre rapport d'inspection du travail récemment transmis à la justice à Besançon recommande que des accusations «d'homicide involontaire par imprudence» soient envisagées relativement au suicide d'un employé de 28 ans.

L'homme s'était enlevé la vie en août 2009 après avoir été muté dans un poste «qu'il avait ressenti comme très disqualifiant» au dire des syndicats. Il avait aussi parlé, dans une lettre expliquant son geste, de ses difficultés au travail.

Bien que les conclusions de l'inspection du travail n'aient rien d'habituelles, elles n'étonnent pas outre mesure Sébastien Crozier, délégué syndical de l'organisation syndicale CFE-CGC-UNSA.

Le fait de couper 22 000 postes et de faire 10 000 mutations en trois ans dans une entreprise, «c'est aussi inhabituel», souligne-t-il en décriant le plan Next comme une forme de «violence sociale».

La direction de France Télécom, qui a été profondément remaniée en réaction à la crise, insiste sur le fait que des modifications importantes sont en train d'être mises en place en matière de gestion de ressources humaines.

Dans un communiqué, l'entreprise vient d'annoncer la conclusion d'une entente avec certains syndicats qui prévoit que les mutations se feront essentiellement sur une base volontaire. Et que les mutations nécessitant un déménagement seront «exceptionnelles».

Une firme de consultants qui a mené une étude approfondie au sein de l'entreprise propose par ailleurs que des postes de «médiateurs» soient créés pour fournir une forme d'arbitrage aux employés en cas de conflit avec leurs supérieurs.