La faible participation féminine aux conseils d'administration des grandes entreprises est un sujet embarrassant qui revient constamment hanter les gens d'affaires et le milieu politique. Cette situation soulève la question suivante: devrait-on imposer des quotas pour les sociétés cotées comme l'ont fait notamment les gouvernements de la Norvège et de l'Espagne?

Examinons d'abord la question des quotas. Les récentes enquêtes statistiques montrent que ce sont les pays scandinaves qui ont pris le leadership en matière de diversité des genres dans les C.A. La Norvège affiche maintenant un taux de représentation féminine moyen de 44,2% dans les C.A., après avoir imposé un niveau minimal de 40%. Quant aux pays scandinaves voisins, la Suède, la Finlande et le Danemark, ils ont des taux allant de 18% à 27%. L'Espagne a également adopté un quota de 40%, qui sera obligatoire à compter de 2015. Au Canada, le taux moyen stagne autour de 13% depuis plusieurs années. Ce degré de représentation féminine nous place dans le peloton médian au niveau mondial, avec les États-Unis et la Grande-Bretagne, qui affichent des taux de 15% et 11%, respectivement. Ces taux sont supérieurs à ceux qu'on observe dans d'autres pays européens comme la France, l'Allemagne, la Suisse et l'Espagne, où les pourcentages tournent autour de 7%, et l'Italie et le Japon, où la proportion de femmes se situe autour de 2%.

Avant de se prononcer sur le bien-fondé de l'établissement de quotas, il convient de se demander si une augmentation de la participation des femmes en gouvernance procure un avantage. Notre équipe de recherche a abordé cette question sous deux aspects. Premièrement, est-ce que les entreprises qui font plus de place aux femmes dans leur C.A. ont de meilleures performances? Deuxièmement, est-ce que leur comportement est plus éthique ou plus socialement responsable?

Les deux études partent de la même idée. Il faut introduire plus de diversité ou de pluralisme dans les conseils d'administration et à la haute direction pour briser le moule du old boy's club. Les récentes réformes en gouvernance ont bien tenté d'introduire cette diversité dans les C.A., mais elles se sont arrêtées à la diversité sur le plan des intérêts financiers en exigeant plus d'indépendance et de compétences financières, en particulier des administrateurs membres des comités d'audit, de nomination et de rémunération du conseil. Notre thèse est qu'il faut aller plus loin en profitant d'un plus grand apport de la gent féminine, un bassin de ressources en capital humain largement inexploité, pour augmenter la diversité de points de vue, d'idées et d'intérêts autres que financiers dans les C.A. Les femmes sont réputées voir les choses et aborder les décisions sous des angles différents. L'hétérogénéité dans les points de vue créée par la représentation féminine contribuerait à augmenter l'esprit critique, la synergie des expertises et la qualité des débats au C.A. pour aboutir à de meilleures décisions stratégiques.

Les résultats d'une première étude indiquent que, pour un même degré de risque, les entreprises qui ont un C.A. plus diversifié réussissent tout aussi bien que leurs pairs dont le C.A. est moins ou n'est pas diversifié du tout (il y en a encore!). D'autre part, lorsqu'elles sont placées dans des situations complexes, ces entreprises dont le C.A. est plus diversifié obtiennent en moyenne des rendements supérieurs. Ces résultats vont dans le sens d'autres études qui ont défini le phénomène de «falaise de verre» ou glass cliff, par analogie au plafond de verre. Au risque de se retrouver dans des situations périlleuses, les femmes seraient plus enclines à accepter des postes jugés trop risqués par d'autres et réussiraient mieux à relever le défi dans ces circonstances. Ce seraient donc des femmes plus courageuses qui parviendraient à briser le fameux plafond de verre.

La deuxième étude suggère que les entreprises dont le C.A. est plus mixte auraient une culture éthique plus développée en ce qu'elles manipulent moins leurs états financiers, fléau mainte fois décrié depuis l'affaire Enron. Pour évaluer les valeurs éthiques de ces entreprises, nous avons eu recours à un indice mesurant leurs politiques et leurs réalisations en matière d'équité en emploi, de programmes favorisant la diversité de genres et de cultures, de maternité et de participation féminine au C.A. et à la haute direction.

La prescription de quotas pour les entreprises privées canadiennes, comme ça se fait ailleurs et même ici dans le secteur public, semble inévitable pour accélérer la progression de la participation féminine en gouvernance. Il faut instaurer des modalités qui permettront une intégration progressive et parcimonieuse. On pourrait notamment commencer par rendre obligatoire la divulgation des pratiques en matière de diversité comme on le fait depuis longtemps pour les autres pratiques de gouvernance.

Claude Francoeur est professeur agrégé en information financière stratégique - CGA. Réal Labelle est professeur titulaire de la Chaire de gouvernance et juricomptabilité à HEC.