L'inauguration, le 8 novembre 2006, d'une usine de fabrication de yaourts au nord du Bangladesh, résultat d'un projet de coopération entre la multinationale française Danone et l'institution de microfinance Grameen Bank, a marqué le début d'une nouvelle étape dans l'histoire du capitalisme contemporain et de la responsabilité sociale des entreprises (RSE). Sous le nom Grameen Danone Foods (www.grameen-info.org), cette entreprise repose sur un modèle d'affaires nouveau, que Muhammad Yunus, Prix Nobel de la paix en 2006, a baptisé social business.

La raison d'être d'une social business, c'est la participation à la résolution d'un problème social de façon «rentable». C'est un concept émergent, à la croisée des chemins entre l'économie sociale et le monde des affaires. Il s'agit d'une entreprise à but lucratif, dont toutes les caractéristiques et les fonctions se rapprochent de n'importe quelle autre entreprise du genre, qui doit chercher l'efficacité et se doter d'une stratégie de gestion pour notamment rester rentable et générer des profits.

Distinction fondamentale, cependant, les bénéfices générés ne sont pas versés aux actionnaires ou aux investisseurs, mais servent à assurer la permanence de l'entreprise au sein d'une communauté, notamment pour continuer à combler le besoin social pour lequel elle a été fondée.

Prix abordables

Dans le cas de Grameen Danone Foods, par exemple, l'usine de produits laitiers a été créée avec l'ambition de fournir un aliment de première nécessité à des prix abordables - six centimes l'unité - à une population à faible revenu. Le segment du marché ciblé est celui des enfants pauvres. L'objectif n'est pas uniquement l'exploitation d'un nouveau marché, mais l'apport d'une solution au problème de mauvaise nutrition de la population du Bangladesh. Shokti Doi n'est pas seulement un yaourt, mais un apport nutritif destiné à contrebalancer le déficit en vitamines et minéraux caractéristique des enfants pauvres du nord du Bangladesh.

La conception et la construction des installations industrielles de l'usine de Grameen Danone Foods ont été menées afin de minimiser les coûts de production et de respecter l'environnement. Les tâches d'exploitation et de gestion de l'usine ont été confiées à des employés recrutés dans la localité et formés par l'équipe de Danone.

L'approvisionnement des matières premières - dans ce cas le lait - s'est fait chez les petits producteurs de la région, qui trouvent maintenant un marché sûr pour leur production à très petite échelle. La distribution des produits finis - le yaourt - repose sur un réseau de femmes bangladeshies qui rencontrent les clients en faisant du porte-à-porte. L'expérience est en cours, mais des enseignements importants peuvent déjà être tirés: une entreprise utilise son savoir-faire et sa compétence en affaires pour innover socialement, mettre au point de nouvelles façons de produire à bas coûts et dans le respect de l'environnement, ainsi que promouvoir la croissance par la génération d'emplois et d'un réseau de petits fournisseurs et de distributeurs locaux.

Mission sociale

Les social businesses ouvrent une nouvelle voie pour la RSE et transforment la notion d'entrepreneuriat social. Il ne s'agit ni d'une ONG, ni d'une organisation caritative, ni d'une coopérative, mais d'une entreprise privée avec une mission sociale. Il semble qu'une vingtaine de grandes multinationales dans le monde démarrent leurs premiers projets de social business. On pourrait se demander quelle pourrait être la motivation des hommes d'affaires à la tête de ces grandes multinationales et, intrinsèquement, des actionnaires auxquels ils doivent rendre compte, d'investir une somme d'argent considérable dans une entreprise qui ne générera aucun dividende ou bénéfice à partager à la fin de l'année.

Pour se doter d'une stratégie socialement responsable, les entreprises ont souvent concentré leurs efforts dans la philanthropie, dans la création et le soutien de fondations, d'ONG et d'autres institutions typiques du «troisième secteur». Elles investissent déjà des sommes considérables dans ce qu'on appelle la «dimension sociale» des affaires, mais la plupart du temps ces initiatives ne sont pas «rentables» du point de vue de leur pérennité: elles exigent un constant apport de nouveaux «dons».

Pourquoi ne pas intégrer la RSE dans la logique organisationnelle d'une façon plus efficace? Est-ce contradictoire qu'une entreprise soit créée et gérée comme une entreprise traditionnelle, avec des produits, des services, des clients, des marchés, des coûts et des bénéfices, mais en remplaçant le principe de la maximisation des profits (et leur distribution aux actionnaires) par le principe de la maximisation des bénéfices sociaux, et tout ça, d'une façon rentable? Nous croyons que non.

Marlei Pozzebon enseigne aux affaires internationales (marlei.pozzebon@hec.ca) et Luciano Barin-Cruz enseigne le management (luciano.barin-cruz@hec.ca) à HEC Montréal.