Le premier mandat de Ben S. Bernanke à la présidence de la Réserve fédérale américaine fait l'objet de bilans très politisés depuis quelques jours qui ont fait craindre un moment pour sa reconduction pour un deuxième mandat de quatre ans.

En principe, l'élection ou la réélection du président de la Fed, proposée par la Maison-Blanche, fait l'objet d'un vote non partisan au Sénat, de manière à assurer l'indépendance de la banque centrale.

Cette fois-ci, c'est un peu différent. Craignant pour leur survie politique en raison de la chute de popularité de Barack Obama, quelques sénateurs démocrates se sont montrés réticents à avaliser son choix. Ils ont fait valoir que l'action de M. Bernanke a surtout consisté à sauver Wall Street, au détriment des travailleurs américains dont plus de sept millions ont perdu leur emploi durant la récession.

Mais les plus critiques de l'action de la Fed sous la gouverne de M. Bernanke ont choisi de se rallier. Comme le Prix Nobel d'économie Paul Krugman l'a résumé dans sa chronique du New York Times, tout autre choix serait peut-être plus dangereux.

«Changer de cheval à mi-course pour des motifs politiques soulève le spectre d'une monétisation de la dette, de l'inflation et d'une dépréciation accrue du dollar», résumait hier Sherry Cooper, économiste en chef chez BMO marchés des capitaux.

Ces trois enjeux deviendront de plus en plus considérables au cours des années à venir. Hier, le Congressional Budget Office (CBO), la très crédible commission chargée de scruter les projections budgétaires de Washington, révélait que le poids du service de la dette des États-Unis allait tripler en 10 ans. La diminution du déficit découlant de l'épuisement des dépenses extraordinaires liées au plan de relance n'y pourra rien changer, selon le CBO.

Concilier les mandats de la Fed avec les contraintes budgétaires de Washington ne sera pas une mince affaire.

Durant son premier mandat, M. Bernanke en a eu plein les bras pour orchestrer le sauvetage du système financier. C'est sur ce chantier qu'il prête flanc tant aux critiques qu'aux louanges. «Les problèmes à la source de la crise du crédit précédaient l'arrivée de M. Bernanke», rappelle Stéfane Marion, économiste en chef à la Financière Banque qui juge plutôt favorablement son premier mandat.

M. Bernanke aura joué un rôle de leader dans cette crise aux répercussions internationales, malgré son épicentre américain.

Le sauvetage n'aura pu éviter aux États-Unis une grave récession, mais il aura prévenu la répétition de la Grande Dépression. Pour ne pas revivre ce qui s'est passé, M. Bernanke préconise comme d'autres de grandes réformes dont la plupart renforceraient le rôle et les pouvoirs des banquiers centraux, dont la Fed.

Comment naviguera-t-il au cours des prochains mois lorsqu'il aura à se prononcer sur les réformes proposées par la Maison-Blanche, inspirées des recommandations d'un de ses prédécesseurs à la Fed, Paul Volcker?

Annoncées par M. Obama la semaine dernière, les propositions ont été tièdement accueillies tant par Wall Street que par d'autres autorités monétaires comme la Banque d'Angleterre.

«J'ose espérer que la réglementation se fasse dans un contexte de consultation internationale, poursuit M. Marion. J'ai peur du protectionnisme financier.»

Depuis le sommet du G20 à Pittsburgh l'automne dernier, le Conseil de stabilité financière et la Banque des règlements internationaux, situés tous deux à Bâle en Suisse, mènent des consultations et des recherches. Ils doivent présenter en avril un nouveau cadre financier international, à la fois homogène et adaptable aux particularités des pays. La Fed participe aux deux organismes.

M. Bernanke devra donc faire preuve de beaucoup de doigté pour concilier ces objectifs, garants de la stabilité économique à terme, avec les défis particuliers de la classe politique américaine. Tout ça sans oublier qu'il doit parvenir à contrôler l'inflation et favoriser le plein emploi.

Qui voudrait d'un pareil emploi payé moins de 200 000$ par année, sans boni ni options d'achat?