Costume, cravate et chemise blanche impeccablement repassée, quelque 100.000 salariés se sont rendus lundi 4 janvier en rang serré au sanctuaire Kanda Myôjin à Tokyo, priant la divinité Ebisu-sama de leur accorder ses faveurs pour leur carrière et la prospérité de leurs affaires.

Année du tigre, puissant, agile et rapide félin d'Asie, 2010 ouvre une décennie que les Japonais aimeraient dynamique, sans oser trop y croire cependant.

Selon une enquête internationale conduite par l'agence de communication américaine JWT, le Japon est parmi les pays riches celui où la population est la plus inquiète, en raison d'années de fluctuations économiques erratiques, de bouleversements mondiaux et de phénomènes sociaux déstabilisants.

De fait, dans les conversations entre amis, dans les journaux, à la télévision, les mots qui reviennent le plus souvent sont «taihen» (dur, pénible) et «fuan» (anxiété).

«L'année dernière était vraiment très difficile à cause de la dégradation de la conjoncture économique. Je suis venu demander à Ebisu-sama (divinité du développement de l'industrie) que les choses s'améliorent, ne fût-ce qu'un peu», témoigne un responsable d'entreprise de 60 ans dans la file d'attente devant le sanctuaire.

Bien que la majorité des Japonais se rangent dans la classe moyenne et se satisfassent pour la plupart de leur niveau de vie, selon une étude de Nomura conduite auprès de 10.000 personnes en 2009, ils craignent que cela ne dure pas.

Près d'un Japonais sur trois estime que la conjoncture va se dégrader, alors qu'ils étaient deux fois moins nombreux à afficher un tel pessimisme il y a trois ans. Il s'agit en outre du niveau le plus élevé en une décennie, même si par ailleurs les données macro-économiques tendent à montrer que le pire moment de la crise internationale est passé.

Quatre Nippons sur dix craignent en outre un déclin de leurs émoluments, en raison de la baisse des heures supplémentaires effectuées et de moindres primes d'été et d'hiver.

D'opinion changeante en fonction des événements les plus récents et des couvertures des très influents médias, les Japonais sont à présent surtout inquiets pour leur emploi, le taux de chômage se situant à plus de 5% de la population active, un seuil d'alarme pour eux.

Alors qu'il était coutumier dans le passé pour les étudiants de connaître leur futur employeur un an avant la fin d'un cursus universitaire, ce n'est plus forcément le cas désormais.

«Seulement les deux tiers des diplômés de la promotion s'achevant en mars prochain ont déjà obtenu une promesse d'embauche», se tourmentait récemment le ministère de l'Education nippon.

Même si un tel niveau de garantie de poste à la sortie ferait baver d'envie les jeunes dans bien des pays, au Japon, le fait de ne pas en être assuré des mois auparavant affole le peuple.

Quant aux actuels travailleurs, ils font tout pour conserver leur place, y compris prier Ebisu-sama en début d'année avec leurs collègues et patrons.

Très sceptiques quant à la stratégie économique du nouveau gouvernement de centre-gauche, «les employeurs attendent pour leur part beaucoup des possibilités de développement dans les domaines de la préservation de l'environnement et des nouvelles énergies», explique un consultant du cabinet d'études Teikoku Databank.

«Ils misent aussi sur l'expansion des industriels japonais en Asie, principalement en Chine, mais redoutent les effets du niveau élevé du yen et les risques d'une spirale déflationniste», ajoute-t-il.

Paraphrasant les mots de feu «le dieu des patrons», Konosuke Matsushita, fondateur du groupe prospère Panasonic, des Japonais soulignent néanmoins que le deuxième idéogramme «ki» du mot «kiki» (crise) comporte aussi le sens d'occasion à saisir.