Derrière la réceptionniste, à l'entrée de l'immeuble, les visiteurs ne peuvent rater l'immense carte longiligne accrochée au mur. Plusieurs bandes rouges, jaunes, brunes, vertes et bleues la balaient à l'horizontale. C'est une carte des variations de températures de tous les coins de la planète. Cette carte, c'est le pain et le beurre du Chicago Climate Exchange.

Le CCX, comme on l'appelle dans le milieu boursier, loge dans un des superbes édifices de la rue LaSalle. Tout au bout de celle-ci, se dresse le grand édifice gris art déco du Chicago Board of Trade. Il complète ce que les gens appellent ici The Canyon, l'artère financière de la ville des vents où se font face des dizaines et des dizaines de hauts édifices rappelant d'une certaine façon une étroite gorge.

Pour le grand patron du CCX, Richard Sandor, nul doute que son organisme, qui emploie près d'une centaine de personnes, deviendra l'instrument de la lutte contre les changements climatiques aux États-Unis. La dynamique boursière, soutient-il, est l'une des meilleures façons d'inciter les entreprises à innover afin de réduire leurs gaz à effet de serre (GES) et d'amener leurs dirigeants à prendre ce défi environnemental au sérieux. «Il y a un grand intérêt, ici aux États-Unis et partout dans le monde, pour le rôle que les mécanismes de marché peuvent jouer comme outils pour atteindre une gestion efficace des coûts de réduction des GES», plaide le président-fondateur du CCX.

Si ce n'était le logo du CCX collé sur les grandes portes de verre à l'entrée, on se croirait dans une firme de professionnels et non un marché boursier de renommée mondiale. Ici, on est en effet loin des parquets des Bourses traditionnelles où les titres changent de mains dans un tohu-bohu incompréhensible pour les néophytes. Au CCX, toutes les transactions se font sur l'internet.

Les États-Unis ont beau ne jamais avoir paraphé le protocole de Kyoto, certaines de leurs grandes entreprises telles Ford, Monsanto, Honeywell, Motorola et DuPont travaillent quand même à réduire leurs émissions de GES. Depuis 2003, elles participent à un programme du CCX qui vise à les diminuer de 6% d'ici décembre 2010.

On est loin de l'objectif initial du protocole de Kyoto (réduction de 5,2% avec année de référence 1990), mais il s'agit toutefois d'un point de départ, note Brookly McLaughlin, responsable des communications au CCX. Quelque 460 entreprises et corporations publiques (municipalités, États, universités, etc.) aux États-Unis tentent d'atteindre leurs objectifs en prenant part au programme. Collectivement, elles produisaient 600 millions de tonnes de carbone en moyenne entre 1998 et 2001, l'équivalent de ce que produit annuellement un pays industrialisé comme l'Allemagne.

Bien que leur participation soit volontaire, les entreprises et organismes inscrits sont tenus de respecter leurs engagements, explique Mme McLaughlin. Des cibles contraignantes sont déterminées annuellement pour chacune des participantes. Et c'est sur la base de ces objectifs qu'elles échangent des crédits carbone sur le CCX; certaines en achètent parce qu'elles les ratent, certaines en vendent parce qu'elles les dépassent, d'autres spéculent sur les deux possibilités. Et c'est sans oublier les participants dont les activités ont pour effet de capter du carbone. On pense d'emblée à des producteurs agricoles et sylvicoles et des sites d'enfouissement, par exemple. Leurs «projets compensatoires» font d'eux de gros vendeurs de crédits carbone.

Le grand patron du CCX entrevoit le jour où les entreprises n'auront guère le choix de faire leur part dans la lutte contre les changements climatiques. Tôt ou tard, pense M. Sandor, les gouvernements, dont celui des États-Unis, imposeront aux entreprises des cibles précises et obligatoires de réduction des GES. Mieux vaut alors qu'elles se préparent en conséquence. «Si vous n'êtes pas à la table, vous êtes sur le menu», dit-il.

Les temps changent

Sous l'ère George W. Bush, le gouvernement fédéral n'a jamais déterminé de cibles contraignantes de réduction des GES pour les entreprises. Toutefois, les temps changent aux États-Unis sur cette question depuis l'élection de Barack Obama à la Maison-Blanche. Le Sénat américain a en effet récemment adopté une première version d'une loi qui détermine des cibles à atteindre. Les sénateurs doivent poursuivre l'étude du projet de loi Boxer-Kerry. La Chambre des représentants se prépare à un exercice similaire avec le projet de loi Waxman-Markey, une législation comportant également des objectifs précis et contraignants.

De part et d'autre, les discussions et négociations pourraient prendre plusieurs mois avant d'aboutir, pense Me Monique Lussier, avocate spécialisée dans les changements climatiques à Washington. D'ici là, impossible de dire quelles seront les cibles de réduction sur lesquelles les élus s'entendront à imposer aux entreprises, estime Me Lussier qui participait en octobre à un colloque à Montréal.

Pour l'heure, aucune réglementation législative fédérale n'existe chez nos voisins, eux qui produisent chaque année 6,7 milliards de tonnes de GES. Les États-Unis pourraient toutefois profiter de la conférence de Copenhague sur les changements climatiques, qui a débuté hier, pour annoncer des mesures pour limiter les émissions de GES ainsi que pour les réduire.

Ce n'est qu'une question de temps avant que Washington n'agisse, pense-t-on chez Ford. Le constructeur automobile s'est joint au CCX en 2003, à l'instar d'une trentaine d'autres entreprises. À l'époque, ses usines aux États-Unis, au Canada et au Mexique produisaient 4,9 millions de tonnes métriques de CO2, souligne Jennifer Moore, directrice des informations corporatives chez Ford. Le recours à de nouvelles technologies de production a depuis permis à la multinationale de réduire ses émissions de gaz carbonique de 29%, soit de 1,4 million de tonnes métriques par année.

Joindre le CCX a permis à Ford de prendre une longueur d'avance dans l'atteinte de ses objectifs de réduction de GES, soutient Mme Moore. «Nous considérions ce programme comme une étape importante avant même que la question des GES ne fasse la première page des journaux. Mais nous avons réalisé l'importance de l'enjeu et nous voulions prendre les devants. Nous croyons que le programme nous offre l'occasion d'acquérir de l'expérience sur le marché du carbone pour nous préparer pour le futur.»

Que fera le CCX une fois son programme terminé? Une nouvelle cible de réduction des GES sera déterminée, indique Mme McLaughlin. Elle ne peut dire quelle sera cette cible. «On y travaille. Et on regarde ce qui se passe à Washington.»

En chiffres

-6%

Certaines grandes entreprises américaines, dont Ford, Monsanto, Honeywell, Motorola et DuPont, travaillent à réduire leurs émissions de GES. Depuis 2003, elles participent à un programme du CCX qui vise à les diminuer de 6% d'ici décembre 2010.

-29%

Ford utilise de nouvelles technologies de production qui a permis à la multinationale de réduire ses émissions de gaz carbonique de 29%.