La Banque du Canada aura beau jeu ce matin de reconduire son taux directeur à 0,25%. Elle pourra aussi réaffirmer qu'il en sera ainsi jusqu'à la fin du deuxième trimestre prochain «sous réserve des perspectives concernant l'inflation».

Dans son communiqué du 20 octobre, la Banque faisait part d'un nouveau scénario selon lequel la cible de 2% du taux annuel d'inflation mesuré par l'Indice des prix à la consommation (IPC) ne sera atteinte qu'au troisième trimestre de 2011 plutôt qu'au deuxième.

Depuis, on a appris que l'IPC évoluait au rythme annuel de 0,1% en octobre, tandis que l'indice de référence, qui exclut les éléments les plus volatils, trottait à 1,8%.

La reconduction du taux jusqu'à la fin de juin au moins commence cependant à susciter une certaine inquiétude chez quelques économistes. Ils montrent du doigt la très forte reprise d'activité sur le marché de la revente dans l'immobilier résidentiel. Depuis le creux de janvier, le nombre de transactions mensuelles est en hausse de 74%, tandis que les prix ont bondi de 21%, et bien davantage dans le marché torontois.

Cette poussée serait attribuable au devancement d'achats, compte tenu des taux hypothécaires très alléchants.

Certains craignent que le marché ne se corrige brutalement si la Banque doit revenir rapidement à une politique monétaire moins accommodante, une fois juin passé. «Un effet non désiré de l'engagement conditionnel de la Banque pourrait toucher la poussée des hypothèques à taux variable», relevait vendredi le comité de politique monétaire de l'Institut C.D. Howe. Il s'agit d'un groupe de 12 économistes issus des milieux financiers et universitaires.

D'autres font valoir au contraire que la Banque risque de reconduire son taux directeur à son niveau plancher bien après juin afin de s'assurer que l'économie n'ait plus besoin de stimuli extraordinaires pour croître.

Bien sûr, le marché du travail paraît en bonne voie de guérison, tout comme la production de biens et services. Mais, fait remarquer Avery Shenfeld, économiste principal chez CIBC, «depuis 1994, il a fallu en moyenne une baisse d'un point de pourcentage du taux de chômage depuis son sommet avant que ne débute un resserrement monétaire. Au rythme de 25 000 nouveaux emplois en moyenne par mois, 2011 sera bien entamé avant son coup d'envoi».

«Les banquiers centraux, y inclus ceux du Canada, pourraient reporter quelque peu les hausses de taux que leur suggèrent leur modélisation afin d'écarter tout risque de stagnation économique, quitte à vivre une poussée inflationniste non souhaitée mais temporaire», argue pour sa part Eric Lascelles, stratège chez Groupe financier Banque TD.

Les résultats de la croissance du produit intérieur brut (PIB) au troisième trimestre sont bien en-deçà de la prévision de la Banque (0,4% comparativement à 2,0% en rythme annuel). Toutefois, le chiffre de septembre est porteur d'une reprise plus robuste pour le quatrième trimestre et pour 2010, ce qui confortera sans doute les autorités monétaires dans leurs prévisions de croissance. Elles s'attendent à ce que le retour au plein potentiel de croissance ne soit possible que durant la deuxième moitié de 2011.

L'activité économique est à la fois soutenue et freinée par la force relative de notre monnaie. Elle stimule la demande intérieure puisque le pouvoir d'achat de biens (largement importés) des ménages augmente. Elle entrave en contrepartie les exportations de biens manufacturés. Au point où la Banque craignait en octobre que, «avec le temps, la force relative du dollar viendra plus que contrebalancer les effets de l'évolution positive» de l'économie».

Chose certaine, depuis un mois et demi, le huard paraît s'être stabilisé dans une fourchette de négociations de 93 à 95 cents US malgré l'appréciation soutenue des prix des produits de base.

Peut-être que le taux de change reflète mieux désormais la valeur fondamentale de notre monnaie. Peu importe, un huard fort contient l'inflation et la nécessité de resserrer le taux directeur.