En collaboration avec HEC Montréal, nous publions notre chronique hebdomadaire sur les défis auxquels font face les entreprises au plan de la gestion

«À la recherche des temps nouveaux»: tel était cette année le thème de l'Université d'été du MEDEF, principale organisation patronale française (750 000 entreprises). Laurence Parisot, présidente du mouvement, déclarait dans sa présentation de l'événement: «face à une crise d'une ampleur et d'une violence sans précédent, nous avons une responsabilité collective: celle de remodeler, de redessiner, de découvrir, voire d'inventer «autre chose».»

Parmi les intervenants invités par le MEDEF, deux d'entre eux, Pierre Rabhi (agriculteur) et Yves Cochet (député), ont proposé une stratégie de sortie de crise pour le moins originale et déconcertante. Selon ces «objecteurs de croissance», la solution aux problèmes économiques, sociaux et écologiques auxquels font face nos sociétés passe par une forme de «décroissance volontaire» ou, plus exactement, par une rupture avec la logique de croissance sans limite dans laquelle les sociétés occidentales sont engagées depuis au moins deux siècles.

Limites et effets pervers de la croissance

Rabhi et Cochet sont partie prenante d'un mouvement ou d'une mouvance qui essaime aujourd'hui partout en Occident, y compris au Québec. Les membres de ce mouvement font valoir généralement trois arguments en faveur d'une «décroissance soutenable» ou «conviviale».

Premier argument: le projet d'une croissance infinie dans un monde fini - la planète Terre - est par définition impossible. En étant très optimiste, on peut imaginer que des solutions de remplacement aux énergies fossiles seront trouvées avant que celles-ci ne deviennent hors de prix et que cela n'entraîne un effondrement de nos sociétés. En revanche, comment trouver des substituts à de l'eau buvable, de l'air respirable, de la terre fertile? Dans le reste de l'univers? Peut-être, mais quand et à quel prix?

Deuxième argument: la croissance ne tient plus ses promesses en matière d'amélioration de nos conditions de vie. L'augmentation massive des moyens de satisfaire nos besoins est en train de se retourner contre nous, au point de devenir source d'inconfort - pensons aux effets pervers du développement de l'automobile - et de contribuer à fragiliser l'espèce humaine. Parmi d'autres phénomènes préoccupants, on mentionnera les très probables conséquences néfastes sur la fertilité masculine et la formation de l'appareil génital masculin, de la dissémination de particules chimiques dans notre environnement.

Troisième argument: la production continue de richesses n'est pas forcément synonyme de réduction des inégalités au sein de nos sociétés. Au cours des dernières décennies, les pays occidentaux ont connu un taux de croissance soutenu mais une nette aggravation des inégalités socioéconomiques au sein de leurs populations respectives. Or, l'effort de croissance n'a de sens et de légitimité que dans la mesure où il favorise l'accomplissement de l'idéal égalitaire sur lequel les sociétés modernes se sont fondées. Puisque tel n'est manifestement pas le cas, et qu'il est même possible de penser que la croissance suppose la persistance d'inégalités sociales, pourquoi donc poursuivre collectivement cette course à la richesse?

Comment inventer autre chose

Mais, diront certains, peut-on vraiment faire autrement? L'être humain n'est-il pas avant tout un animal désireux d'améliorer son sort? Et dans ce cas, le pari de la décroissance n'est-il pas un pari perdu d'avance?

En fait, un détour par l'histoire et l'ethnologie révèle que le souci continuel d'améliorer son sort n'est pas forcément inscrit dans la nature de l'Homme et que la plupart des sociétés humaines n'ont pas été «croissantistes». On ne voit donc pas pourquoi l'humanité serait désormais incapable de concevoir un monde préoccupé d'autre chose que de croissance. En outre, il est fort possible que nous n'ayons plus vraiment le choix. Compte tenu de l'état de notre planète, la question qui se pose est peut-être surtout de savoir si l'on préfère une décroissance subie ou choisie.

Comment s'engager alors sur la voie d'une décroissance volontaire? Puisqu'il s'agit «d'inventer autre chose», comme nous y invite Mme Parisot, l'erreur serait de vouloir établir au préalable les plans de cette manière inédite de vivre ensemble. Il y a une contradiction fondamentale entre les exigences de l'innovation radicale et celles de la planification. Il faut donc procéder par expérimentations et tâtonnements. Un seul prérequis est nécessaire: la «décolonisation de nos imaginaires» (Serge Latouche). Il est primordial de cesser d'envisager la croissance comme une évidence et une nécessité. Dans cette perspective, le terme de «décroissance» constitue un «mot-obus» (Paul Ariès) particulièrement efficace et libérateur.

L'auteur est professeur agrégé à HEC Montréal yves-marie.abraham@hec.ca