Le dollar canadien continue à grimper. À un point tel que bien des économistes se sont remis à leur ordinateur question de réviser les scénarios de relance économique du pays... à la baisse.

Le huard a atteint 96,46 cents US, hier, en hausse de 0,73 cent US par rapport à la fermeture de vendredi dernier. La hausse suit celle d'environ 3 cents US enregistrée la semaine dernière et a relancé les paris sur le moment où notre dollar atteindra la parité avec le billet vert américain.

 

La parité, on l'a bien connue en 2007 et 2008... sauf que c'était au sommet du cycle économique. La voir se profiler alors qu'une reprise fragile est en cours en inquiète plus d'un.

«Ce qu'on va voir, c'est probablement que les exportations nettes - ce qu'on exporte moins ce qu'on importe - vont fortement ralentir la croissance économique», prédit Martin Lefebvre, économique principal au Mouvement Desjardins.

Interrogé à ce sujet hier, Stephen Harper a rappelé que la Banque du Canada a déjà affirmé qu'une montée rapide pourrait nuire à la relance économique du pays. Il a toutefois souligné que son plan de reprise est «plus grand que le seul facteur du dollar».

S'il croit peu au scénario d'un dollar fort qui se maintient longtemps, Carlos Leitao, économiste en chef à la Financière Banque Laurentienne, admet qu'il pourrait saboter le scénario de relance au Canada, qui consiste à soutenir la demande intérieure jusqu'à ce que les exportations reprennent le flambeau.

«Dans ce cas, c'est tout le scénario qui tombe, et la croissance pourrait rechuter en territoire négatif au deuxième semestre de 2010», dit l'économiste.

À Exportation et développement Canada, on en est aussi à revoir les scénarios à cause de la hausse du huard. «Les prévisions pour 2010 risquent d'être plus basses», dit Stuart Bergman, directeur du groupe économique, sans être encore en mesure de chiffrer les changements.

Les exportateurs admettent que la hausse rapide et imprévue du dollar est «un défi qui s'ajoute à tous les autres défis», mais refusent de se plaindre.

«On n'a pas de contrôle là-dessus, lance José Louis Jacome, directeur général des Manufacturiers et exportateurs du Québec. Ce qu'on dit aux manufacturiers, c'est qu'il faut que les entreprises soient concurrentielles avec un dollar au pair. Si on fait ça, quand le dollar canadien baisse, on en bénéficie.»

À la Banque Nationale, Stéphan Marion se montre moins inquiet et continue de tabler sur une reprise plus vigoureuse que prévu aux États-Unis, ce qui viendra soutenir le dollar américain et faire baisser le huard par la bande.

Quand le billet vert coule

Parce que si le huard est si haut, ce n'est pas tant qu'il a le vent dans les voiles: c'est surtout le dollar américain qui coule à pic.

Valeur refuge par excellence, le billet vert était extrêmement populaire au pire de la crise. Depuis, l'appétit pour le risque revient... et on s'en départit.

En fait, les banques centrales du monde lèvent carrément le nez sur le dollar américain et regarnissent leurs coffres avec des euros et des yens question de diversifier leurs portefeuilles. Et ça semble faire bien l'affaire des Américains, qui voient leurs entreprises bénéficier d'un avantage concurrentiel.

«Les Américains veulent utiliser l'exportation pour se sortir de la crise. Ils disent au monde: c'est mon dollar, mais c'est ton problème», dit François Barrière, vice-président au développement des affaires sur le marché des devises à la Banque Laurentienne.

Des journaux rapportent aussi que certains pays chercheraient à s'entendre «secrètement» pour cesser d'utiliser le dollar américain dans leurs transactions.

«Hautement spéculatif», «complètement déconnecté de la réalité économique», «irréaliste», «absurde»: l'économiste Carlos Leitao ne mâche pas ses mots pour décrire la dégringolade qu'encaisse actuellement le dollar américain.

«Je sais que d'autres vont vous dire exactement le contraire, on est dans une période assez turbulente. Mais à mon avis, le dollar américain ne devrait pas être si faible que ça et ne demeurera pas à ces niveaux.»

Le président de Toyota s'est déjà plaint de voir le yen japonais si haut par rapport au dollar, et M. Leitao ne serait pas surpris de voir les banques centrales du monde se concerter pour soutenir le dollar américain si celui-ci continue de chuter.

Les spécialistes soulignent par ailleurs que les spéculations vont bon train actuellement sur les devises, ce qui contribue à augmenter les variations.

«Il va peut-être y avoir de petits correctifs, mais la tendance a l'air très claire, croit de son côté Stéphanie Larivière, directrice, gestion des risques pour entreprises, à la Banque Nationale, qui s'attend à voir le dollar américain bas - et donc le huard haut - au moins jusqu'à la fin de l'année.