Fraude comptable organisée ou non, les actionnaires de l'ex-Vivendi Universal (VU) et Jean-Marie Messier livraient mardi à New York des versions diamétralement opposées des événements de 2000-2002, qui ont conduit le groupe de médias au bord de la faillite.

Premier à s'exprimer dans un procès fleuve qui pourrait déboucher sur des milliards de dollars de dédommagements, le principal avocat des plaignants, Arthur Abbey, a accusé Vivendi de «mensonges» et reproché à l'ancien PDG du groupe, Jean-Marie Messier, de s'être livré à des «tours de magie comptable».

«Nous montrerons que les accusés n'ont pas dit la vérité sur les problèmes de liquidité croissants» du groupe, a indiqué M. Abbey. «Finalement comme avec tous les mensonges, la vérité a fini par sortir (...) et les investisseurs ont essuyé d'énormes pertes».

Sous les regards attentifs de Jean-Marie Messier et de son ex-bras droit et directeur financier, Guillaume Hannezo, l'avocat a projeté sur un écran des copies de courriels et de notes manuscrites échangés par les deux hommes, montrant la volonté de la direction d'embellir les comptes.

Après M. Abbey, c'est l'avocat du groupe (redevenu Vivendi tout court en 2006), représenté à l'audience par le président de son conseil de surveillance, Jean-René Fourtou, qui a présenté sa version des faits.

Me Paul Saunders a affirmé que Vivendi n'avait jamais commis de «fraude» dans la présentation de ses comptes.

«La prétendue crise de liquidités» évoquée plus tôt par l'accusation n'était selon lui qu'un «risque pour les liquidités». «Nous avons rendu publique l'existence d'un risque», a ajouté l'avocat, soulignant que tout investissement en bourse comporte une part de risque.

Les 12 jurés devaient ensuite entendre Michael Malone, avocat de M. Messier, avant celui de M. Hannezo qui pourrait s'exprimer mercredi.

L'affaire remonte aux années 2000-2002, c'est-à-dire aux suites de la fusion avec Seagram et Canal Plus qui avait fait de Vivendi Universal l'un des plus gros groupes de médias au monde: à cette époque, VU affichait des bénéfices et des recettes florissants, alors que le groupe, lourdement endetté pour financer son expansion, traversait une grave crise de liquidités.

Finalement M. Messier avait dû quitter la présidence de VU en juillet 2002, après que l'entreprise eut perdu 13,6 milliards d'euros sur l'année précédente.

Ce n'est pas la première fois que Vivendi et son flamboyant ex-PDG doivent affronter la justice pour rendre compte de cette époque. Mais ce procès aux États-Unis, qui devrait durer deux à trois mois, pourrait s'avérer le plus onéreux pour eux si la justice leur ordonne de dédommager les actionnaires pénalisés par l'effondrement du titre.

La justice française chiffre en effet à un million le nombre d'investisseurs ayant détenu des actions Vivendi durant la période litigieuse, qui sont autant de potentielles victimes à dédommager.

Des investisseurs français avaient porté plainte dès septembre 2002 aux États-Unis, joignant leurs efforts à ceux d'investisseurs qui avaient acheté des certificats de dépôts (ADS) cotés à New York. C'est cette action commune qui a débouché sur ce procès à New York.

L'idée, selon un avocat français défendant des actionnaires, Maxime Delespaul, était «d'obtenir une indemnisation effective», bien plus difficile à recevoir en France où l'Autorité des marchés financiers ne rembourse pas les actionnaires et où les plaignants doivent aller en correctionnelle pour tenter d'obtenir des compensations financières.

Aux États-Unis, où ce type de poursuites est assez courant, les plaignants tentent généralement de parvenir à un accord de dédommagement à l'amiable, ce qui évite à leur adversaire d'affronter un jury populaire au verdict potentiellement ruineux.

Le chiffre d'une transaction à deux milliards de dollars pour solder l'affaire Vivendi a été évoqué, sans que nul ne le confirme officiellement.