Le géant des télécommunications France Télécom est secoué par une vague de suicides qui indigne les syndicats et plonge dans l'embarras le gouvernement, principal actionnaire de l'entreprise.

Vendredi dernier, une employée de 32 ans s'est jetée d'une fenêtre du quatrième étage de l'immeuble parisien où elle travaillait, traumatisant les collègues qui ont assisté à la scène. Elle est morte des suites de ses blessures quelques heures plus tard à l'hôpital.

La direction a souligné que la jeune femme était « fragile » et éprouvait de sérieux problèmes personnels, connus de la direction des ressources humaines, qui avait fait réduire sa charge de travail.

Les syndicats font valoir de leur côté qu'elle était durement éprouvée puisqu'elle venait d'être avisée d'une nouvelle réorganisation de son service après avoir subi, dans les mois précédents, un changement de bureau et de structure administrative.

Sa fin tragique survenait quelques jours à peine après qu'un autre employé de France Télécom se fut planté un couteau dans l'abdomen au cours d'une réunion d'équipe en criant qu'il en avait « marre de ces conneries ». Il venait d'apprendre que son poste était aboli.

L'entreprise, qui a aboli près de 15 000 postes en trois ans, a recensé 23 suicides d'employés et un nombre élevé de tentatives depuis février 2008.

Dans une lettre ouverte transmise en août au président de l'entreprise, les dirigeants des principaux syndicats de l'entreprise épinglent la politique des ressources humaines de France Télécom.

« Les réorganisations, les restructurations, les externalisations, les concentrations, permanentes, sans lisibilité autre que l'éculé : il faut savoir s'adapter... tout ce climat malsain crée une angoisse profonde qui met gravement en danger la santé des hommes et des femmes » de l'entreprise, écrivaient-ils alors.

Lundi, le secrétaire général de la CFDT, l'une des principales centrales syndicales, a demandé qu'un « moratoire » soit imposé sur les restructurations.

« On sait que le suicide, c'est tout un certain nombre de difficultés personnelles. Mais passer à l'acte sur son lieu de travail, c'est... un appel sur un problème qui est directement lié au lieu », a déclaré François Chérèque.

La direction de France Télécom affirme qu'elle est disposée à « améliorer ses efforts d'accompagnement » envers les employés, mais refuse de considérer un tel moratoire par crainte d'être déclassée par ses concurrents.

« Ce n'est pas envisageable, ou alors la concurrence doit être gelée et la technologie cesser d'évoluer », soulignait il y a quelques jours le directeur des ressources humaines de l'entreprise, Olivier Barberot, au Journal du dimanche.

La firme, a-t-il précisé, a dû procéder à une « profonde mutation » pour passer du secteur de la téléphonie traditionnelle à celle du portable et de l'internet, ce qui crée une forte pression sur les employés.

Les représentants du gouvernement, tout en refusant de faire porter le blâme directement sur les administrateurs de l'entreprise, font monter la pression.

Le secrétaire général de l'Élysée, Claude Guéant, a déclaré sur les ondes de la radio RTL au cours de la fin de semaine que France Télécom devait agir même si les suicides « sont d'abord et avant tout des drames personnels ».

« Il y a une obligation de l'entreprise de faire face, d'apporter un secours, de tendre la main à ceux qui sont en difficulté », a-t-il déclaré.

La ministre des Finances, Christine Lagarde, a déclaré qu'elle avait demandé à la direction de convoquer d'urgence un conseil d'administration « du plus haut niveau « à ce sujet de manière à ce qu'un « message très fort » soit envoyé à l'ensemble du personnel.

Le ministre du Travail, Xavier Darcos, a rencontré hier le président de France Télécom, Didier Lombard, pour faire le point sur la situation.

France Telecom n'est pas le premier géant français à faire face à une telle vague de problèmes psychologiques. Les constructeurs automobiles Renault et Peugeot ont aussi été montrés du doigt il y a quelques années après une série de suicides liés par des experts aux conditions de travail des victimes.