Vingt-deux suicides en 18 mois: le décompte tragique a poussé France Télécom, ancien monopole du téléphone devenu géant mondial des technologies, à prendre jeudi des mesures contre le stress au travail et à suspendre les restructurations.

Ces annonces sont intervenues alors que les salariés de France Télécom observaient jeudi une journée d'action à l'appel des syndicats qui imputent la série de suicides aux méthodes de management dans ce groupe employant plus de 100 000 personnes dans le pays.

La direction a annoncé la suspension jusqu'au 31 octobre des «mobilités des personnes concernées par des projets de réorganisation», pour «réexaminer les conditions de leur mise en oeuvre», selon un communiqué du groupe.

Elle prévoit aussi l'ouverture de négociations sur le stress dès le 18 septembre, et le recrutement de 100 responsables de ressources humaines de proximité et de médecins du travail supplémentaires.

Quelque 13,7% de salariés de France Télécom étaient en grève jeudi midi et des rassemblements ont eu lieu à Paris et plusieurs grandes villes du pays.

Mercredi, un technicien de 49 ans avait tenté de se suicider en pleine réunion d'équipe à Troyes (Centre-Est), en se plantant un couteau dans l'abdomen après avoir appris qu'il serait affecté à un poste de moindre qualification.

Le suicide fin août d'un autre salarié à Lannion (Ouest) avait porté selon les syndicats à 22 le nombre de suicides dans le groupe en 18 mois.

«Le sentiment de révolte est profond», a expliqué jeudi Régis Pigre, délégué du syndicat Sud à Troyes.

L'employé qui a tenté de se suicider mercredi «a démarré en bas et a travaillé pour monter. Du jour au lendemain, on lui dit que maintenant il ferait un travail moins intéressant», avait-il expliqué la veille.

Le 14 juillet à Marseille, un salarié de 51 ans s'était suicidé en laissant une lettre dans laquelle il dénonçait la «surcharge de travail» et le «management par la terreur».

Après le dernier suicide en août, le syndicat CFDT avait affirmé qu'il était en «lien direct» avec les méthodes de management de France Télécom, un groupe en pleine restructuration, confronté à la forte concurrence dans le secteur et aux bouleversements technologiques.

Les syndicats dénoncent des pressions exercées sur les salariés, notamment pour les inciter à quitter l'entreprise dans le cadre des réductions d'effectifs.

Le groupe, entré en Bourse en 1997 et dans lequel la part de l'État est devenue minoritaire en 2004, a subi des restructurations drastiques, perdant plus de 40 000 salariés depuis 2002, selon les rapports financiers.

La situation est compliquée par la dualité de statut dans l'entreprise, puisque les plus anciens salariés, présents avant la privatisation, soit environ 70%, sont restés fonctionnaires tandis que ceux qui ont été embauchés depuis ont des contrats de droit privé.

«Tous les salariés reçoivent régulièrement par mail des propositions pour quitter l'entreprise, et les managers ont des objectifs, qui se répercutent sur leur paye, pour inciter les salariés à partir», a expliqué Philippe Meric.

Le nombre de suicides dans l'entreprise «n'est pas en augmentation», a affirmé le directeur des ressources humaines du groupe, Olivier Barberot, dans une interview jeudi au quotidien Le Parisien, citant deux chiffres: 28 suicides en 2000, soit 2,15 pour 10 000, et 29 en 2002, soit 2,49 pour 10 000 salariés.

France Télécom va «renforcer la prévention contre les suicides», en formant en particulier ses 20 000 cadres à «détecter les signaux de faiblesse psychologique», a-t-il cependant indiqué.