Le chiffre est spectaculaire: les prix à la consommation ont reculé de 0,9% en juillet au pays, la chute la plus rapide depuis 1953. Mais hier, aucun économiste n'a été aperçu en train de s'arracher les cheveux dans son bureau. Et les consommateurs ne sont pas descendus dans les rues pour célébrer ces baisses de prix.

Pourquoi? Parce que si les prix de l'essence et des voitures sont en baisse, ceux de la nourriture, eux, continuent de grimper. Et le spectre de la déflation, la vraie, n'est pas prêt de nous tomber dessus.

 

«Une vraie déflation, c'est une baisse prolongée et généralisée des prix. Or, on n'a ni l'un ni l'autre», dit Sébastien Lavoie, économiste chez Valeurs mobilières Banque Laurentienne.

Statistique Canada a révélé hier que les prix ont chuté de 0,9% en juillet par rapport à un an auparavant. En comparant vos factures avec celles de l'an dernier, vous noterez toutefois que les différences sont énormes selon les produits achetés.

Les automobilistes sortent grands gagnants de cette comparaison. Rappelez-vous juillet 2008: l'essence était à un sommet, avec un prix moyen à la pompe de 1,34$. Il a chuté de 28% depuis, ce qui a fortement contribué à créer la déflation record dont on a tant parlé hier.

En fait, selon Yanick Desnoyers, économiste à la Financière Banque Nationale, cette chute du prix de l'essence est tellement brutale qu'elle vient complètement fausser la donne.

«C'est assez glamour de dire qu'on a un taux global de -0,9% et qu'on n'a pas vu ça depuis les années 50. Mais ce n'est pas une bonne mesure des pressions sous-jacentes de l'inflation», dit-il.

Lui préfère regarder l'indice des prix à la consommation dit «de base», qui exclut les huit composantes dont les prix sont les plus volatils. Et cet indice, loin d'être négatif, est demeuré dans le vert à 1,8% en juillet, pratiquement inchangé par rapport à sa valeur de 1,9% un mois plus tôt.

«À notre avis, de nombreux Canadiens n'ont probablement pas l'impression que le coût de la vie diminue», croit d'ailleurs Sébastien Lavoie, de la Banque Laurentienne.

C'est certainement le cas de Marjorie Northrup, qui coordonne 80 popotes roulantes à Montréal. Ces organismes cuisinent bon an mal an environ un demi-million de repas pour les plus démunis.

Or, contrairement à la facture d'essence, celle de l'épicerie s'est gonflée de 5,6% en juillet. Une hausse moins importante que celle de 6,4% enregistrée en mai, mais une hausse tout de même.

«Ça nous affecte énormément, dit Mme Northrup. On essaie d'offrir des repas à bon prix, mais beaucoup d'organismes ont dû monter leurs prix de 50 cents ou même d'un dollar par repas. Pour les aînés à faible revenu, la différence est énorme.»

L'économiste Sébastien Lavoie note que ce sont les gros achats comme les voitures (baisse de 4,3%), l'équipement audio ou vidéo (-7,6%) ou les meubles (-0,3%) qui se vendent moins chers cette année. «Le problème, c'est que si vous n'achetez pas ces biens durables - ce qui est probable avec le marché de l'emploi difficile et les tensions financières - vous ne bénéficiez pas des prix plus bas.»

La plupart des économistes misent sur une baisse de prix qui continuera encore quelques mois avant de revenir dans le vert d'ici la fin de l'année. La déflation a atteint ses sommets en Colombie-Britannique (-1,6%) et en Alberta (-1,5%), alors que la Saskatchewan est la seule province canadienne à avoir connu de l'inflation en juillet ("0.9%). Les prix ont moins chuté au Québec (-0,3%) que dans l'ensemble du Canada.

 

Que fera la Banque du Canada?

Comment réagira la Banque du Canada aux données sur l'inflation dévoilées hier? Les économistes ne s'entendent pas sur la question.

En période de déflation, on baisse généralement les taux directeurs question de stimuler l'économie et faire grimper les prix. Sauf que cette fois, c'est impossible: le taux est déjà au plancher.

La Banque du Canada avait déjà signifié qu'elle voulait maintenir son taux directeur à son plancher actuel de 0,25% jusqu'au milieu de l'année 2010.

Derek Holt, économiste chez Capitaux Scotia, croit que le fléchissement des prix pourrait amener la Banque du Canada à prolonger sa période de bas taux au-delà de la date prévue.

«Le risque est que la Banque du Canada demeure sur la touche plus longtemps que ce à quoi le marché s'attend», a-t-il dit à l'agence Bloomberg.

Yanick Desnoyers, économiste à la Financière Banque Nationale, croit exactement le contraire.

«Si on exclut la contribution du pétrole, l'inflation résiste anormalement bien considérant l'ampleur de la récession», dit-il. Selon lui, la reprise économique stimulera davantage l'inflation, ce qui pourrait amener la Banque du Canada à grimper graduellement ses taux avant la mi-2010 question de freiner leur ascension.

Benoit Durocher, du Mouvement Desjardins, et Sébastien Lavoie, de la Laurentienne, se situent entre les deux: ils croient que les données d'hier ne changent absolument rien pour la Banque du Canada, qui gardera le cap en maintenant ses taux jusqu'à la mi-2010.

 

Indice des prix à la consommation par province (de juillet 2008 à juillet 2009)

Terre-Neuve-et-Labrador -0,9%

Île-du-Prince-Édouard -1,3%

Nouvelle-Écosse -1,0%

Nouveau-Brunswick -0,4%

Québec -0,3%

Ontario -1,2%

Manitoba 0%

Saskatchewan +0,9%

Alberta -1,5%

Colombie-Britannique -1,6%

Whitehorse -0,8%

Yellowknife -0.1%

Moyenne canadienne -0,9%

Vous payez moins que l'an dernier pour

L'énergie -23,4%

Le transport -9,1%

Les voitures -4,3%

Les vêtements pour femme -7%

Les vêtements pour homme -2%

Le coût de l'intérêt hypothécaire -0,1%

Le logement -2%

L'habillement et les chaussures -2,1%

Vous payez plus cher pour

L'épicerie +5,6%

Le restaurant +3,4%

La santé et les soins personnels +3,7%

Les boissons alcoolisées et les produits du tabac +3,1%

Source: Statistique Canada