Les entreprises qui omettent de prendre les moyens nécessaires pour faire face à la pandémie de grippe A (H1N1) pourraient être tenues juridiquement responsables envers leurs employés, leurs clients ou leurs actionnaires. Théoriquement, cela pourrait se traduire par des poursuites légales envers l'entreprise et ses administrateurs.

Dans un rapport publié en début de semaine sur la préparation des entreprises canadiennes face au H1N1, le professeur Amin Mawani, économiste et professeur à la Schulich School of Business de l'Université York (Toronto), souligne que les risques de pandémie deviennent de plus en plus évidents. Dans ces circonstances, les entreprises non préparées pourraient être tenues responsables.

Ce que confirment deux avocats consultés par La Presse Affaires, même s'ils conviennent tous deux que des poursuites pourraient être difficiles à mener à terme.

La responsabilité la plus évidente concerne les employés. «Tant dans le code civil que dans la Loi sur la santé et sécurité du travail, comme dans certaines conventions collectives, l'employeur a l'obligation d'assurer la santé et la sécurité de ses employés», explique Simon-Pierre Hébert, associé chez McCarthy Tétrault et spécialiste en droit du travail.

Au Québec, la CSST pourrait potentiellement porter plainte contre une entreprise négligente. Le Code criminel prévoit aussi qu'un superviseur doit prendre «les mesures voulues pour éviter qu'il n'en résulte de blessure corporelle pour autrui».

Un client qui entre en contact avec un employé infecté pourrait aussi, tout dépendant des conséquences de la maladie (frais médicaux, absence du travail), déposer des poursuites contre l'entreprise. Mais il devrait entre autres prouver qu'il a contracté la maladie au contact de l'employé.

Devoir de diligence

Thierry Dorval, associé et responsable de l'équipe Gouvernance et responsabilité des administrateurs chez Ogilvy Renault, évoque d'autres sources de responsabilité légale de l'entreprise.

Par exemple, un client pourrait poursuivre un fournisseur qui, n'ayant pas pris les mesures nécessaires pour altérer les effets de la pandémie, ne serait pas en mesure de respecter un contrat.

Enfin, les lois corporatives prévoient que les administrateurs ont un devoir de diligence, c'est-à-dire le devoir d'identifier les risques prioritaires de l'entreprise et d'y faire face. En théorie, des actionnaires pourraient poursuivre les administrateurs d'une société qui ont manqué à leur devoir de diligence.

«Mais pour qu'il y ait un recours contre une entreprise, ça prendrait vraiment une tempête parfaite, que tout le monde soit malade dans l'entreprise, et qu'il n'y ait pas beaucoup de cas ailleurs», dit M. Dorval.

«Pour se prémunir de tout blâme, les entreprises devraient prendre les mesures nécessaires, d'autant plus que le résultat de l'analyse coûts-bénéfices de ces mesures me semble évident», ajoute l'avocat.

Ces mesures comprennent notamment les communications au sujet de l'hygiène, les restrictions de déplacement ou l'accès à des désinfectants.

Affronter l'absentéisme

Le professeur Amin Mawani souligne que les neuf grandes entreprises canadiennes semblent «raisonnablement bien préparées» à une pandémie. «Pour les PME, j'en suis moins sûr», a-t-il précisé en entrevue.

Selon lui, il importe que les entreprises puissent faire face à une forte vague d'absentéisme, puisqu'une pandémie grave pourrait empêcher de 15 à 30 % des employés d'entrer au travail.

«Les entreprises ont généralement ce qu'il faut pour pallier les pannes de courant ou les pannes informatiques, mais pas pour compenser les absences massives d'employés», a expliqué M. Mawani.

Selon le dernier rapport de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), le 22 juin, le Canada compte 5710 cas recensés de grippe A (H1N1) (dont 13 morts), ce qui en fait le pays le plus affecté par habitant.

On dénombre environ 52 000 cas sur la planète et le virus n'est pas encore très puissant. Mais dans un rapport dévoilé mardi, la Banque mondiale évoque une possible deuxième vague de la pandémie avec la saison de la grippe qui débute dans l'hémisphère sud, et qui commencera à l'automne dans l'hémisphère nord.

Dans une note économique publiée en 2006, l'économiste Sherry Cooper, de BMO Nesbitt Burns estimait qu'une pandémie de grippe sévère entraînerait un recul du PIB canadien de 6 %.